Le mensonge (...) a des ressources merveilleuses. Il est ductile, il est plastique. Et, de plus (ne craignons point de le dire), il est naturel et moral. Il est naturel comme le produit ordinaire du mécanisme des sens, source et réservoir d’illusions ; il est moral en ce qu’il s’accorde avec les habitudes des hommes qui, vivant en commun, ont fondé leur idée du bien et du mal, leurs lois divines et humaines, sur les interprétations les plus anciennes, les plus saintes, les plus absurdes, les plus augustes, les plus barbares et les plus fausses des phénomènes naturels. Le mensonge est le principe de toute vertu et de toute beauté chez les hommes. Aussi voit-on que des figures ailées et des images surnaturelles embellissent leurs jardins, leurs palais et leurs temples. Ils n’écoutent volontiers que les mensonges des poètes. Qui vous pousse à chasser le mensonge, à rechercher la vérité ? Une telle entreprise ne peut être inspirée que par une curiosité de décadents, par une coupable témérité d’intellectuels. C’est un attentat à la nature morale de l’homme et à l’ordre de la société. C’est une offense aux amours comme aux vertus des peuples. Le progrès de ce mal serait funeste, s’il pouvait être hâté. Il ruinerait tout. Mais nous voyons que, dans le fait, il est très petit et très lent et que jamais la vérité n’entame beaucoup le mensonge.Révolution ou statu quo ? Que la société soit fondée sur le mensonge est posé en principe par les révolutionnaires de 1789. D'où leur idée : bâtir la société sur la "raison". Ce à quoi l'Angleterre, avec Burke, a répondu que la société était le fruit d'une lente mise au point que la raison ne pouvait comprendre. Vive le statu quo et l'Ancien régime. Cependant, l'argument révolutionnaire revient régulièrement, surtout chez les Anglo-saxons. C'est ainsi que Michael Hammer, le théoricien d'une des modes de management qui a fait le plus de bruit, a affirmé qu'il fallait reconstruire les entreprises de zéro, à partir des nouvelles technologies de son époque. Tout ce que l'on entend sur le "changement de culture" de l'entreprise, mais aussi sur la "démocratisation" du monde, post 1989, ressortit probablement au discours révolutionnaire.
Entre Burke et les révolutionnaires, il existe une troisième voie. Celle de Kant et des anthropologues. La société est un "système" complexe. Le re concevoir de zéro est au delà de la raison. Mais le statu quo est, lui aussi, impossible. Notamment parce que le dit système doit se "consommer" pour se maintenir. Une autre raison, qui exige l'évolution, est que, comme le pensaient Hammer et les révolutionnaires, la société est aux mains des intérêts particuliers, qui cherchent à lui imposer un statu quo qui les arrange, et qui, donc, se met en travers du mouvement naturel de changement. Le rôle de l'être humain est, peut-être, de naviguer entre toutes ces forces pour faire évoluer la société, sans révolution. En respectant ses principes constitutifs, et ses aspirations.