L’implacabilité inhumaine de l’administration fiscale française est, parfois, compensée par l’incroyable complexité de sa législation dans laquelle elle se prend souvent les pieds et, il faut le dire, la dose assez massive d’incompétence crasse d’une classe politique que le monde ne nous envie pas (mais nous copie assez fébrilement, soyons honnête). Et pour le moment, cela profite aux géants du Web, Google en tête.
Si l’on peut supposer qu’il doit bien y avoir quelques furieux grincements de dents à Bercy actuellement, on est en revanche certain de ceux qui accompagnent les pleurs et les petits poings serrés de colère de nos ministres et autres députés devant l’abominable étanchéité fiscale dont font preuve les géants du Web. Il s’avère en effet que Google, notamment, ne paie toujours qu’un tout petit écot au Trésor Public, et ce, malgré les tentatives nombreuses – dont la répétition maladroite confine d’ailleurs à la compulsion pathologique – de lui faire cracher au bassinet.
Je pourrais lister ici quelques unes des tentatives (navrantes d’amateurisme) qui furent faites dans le passé (tenez, le sénateur Marini avait tenté le coup en 2014, par exemple) mais je me contenterai de m’intéresser à la dernière en date, qui avait vu le fisc français réclamer un bon gros milliard d’euros bien dodu au géant de l’indexation histoire de lui calmer ses ardeurs internautiques.
Las.
Entre l’aspect très technique du dossier sur le plan fiscal (Google est déjà imposé en France pour les activités qui s’y déroulent, et en Irlande pour le reste) et l’aspect particulièrement complexe pour nos crânes d’œufs des technologies qui fondent les revenus de Google (l’affichage de pages indexées, ce n’est pas tout à fait comme la vente de shampoings ou l’application de maquillage en doses ultra-libérales), il était couru d’avance que le dossier, bien trop fortement teinté de politique, ne pourrait pas bien se terminer sans l’un ou l’autre vol plané dans les ors républicains.
Ce qui devait arriver arriva donc, avec ce petit côté ironique imbattable qu’on obtient lorsque le dur crépi de la réalité vient frotter avec vitesse sur les fesses flasques des politiciens imbéciles qui tentaient de lui échapper : après plusieurs années de procédures, patatras, la justice, contrainte et forcée, annule le redressement fiscal de Google en France.
Et bien que le rapporteur public du tribunal ait estimé précédemment que la procédure de redressement engagée contre Google n’était pas justifiée, au regard de la manière dont Google mène ses activités en France, l’État (et les ministres derrière) a continué obstinément à faire perdre son temps à la Justice française pour un résultat nul : finalement, le tribunal a estimé que Google France ne pouvait engager juridiquement Google Ireland Limited, le siège fiscal de Google en Europe, car les salariés de Google France ne peuvent procéder eux-mêmes à la mise en ligne des annonces publicitaires commandées par les clients français, toute commande devant en dernier ressort faire l’objet d’une validation de Google Ireland Limited.
Oh. Flûte et zut et crotte et caca boudin, voilà plus d’un milliard d’euros qui ne rentrera pas dans les caisses ! Qu’à cela ne tienne, Gégé Darmanin, le ministre de l’Action et des comptes publics, a annoncé dans la foulée que l’État allait faire appel de cet abominable jugement, scrogneugneu.
En attendant et devant le probable jus de boudin dans lequel se terminera l’appel, du côté du parlement, on s’agite : puisqu’apparemment, Google, ce monstre capitaliste sans bornes et sans surface taxable, a le culot d’échapper à l’impôt parce qu’il respecte la loi en vigueur que c’en est intolérable, modifions la loi à gros coup de replâtrage histoire de le faire tomber, lui aussi, dans l’ornière fiscale française.
Après tout, il n’y a pas de raison : pour l’État français, ses sbires du gouvernement et ses sicaires du parlement, ce qui est à lui est à lui et ce qui est à vous est décidément ouvert à d’âpres négociations. Dès lors, ce que Google gagne, que ce soit en Irlande ou ailleurs, fera l’objet d’une scrutation attentive par Bercy pour venir y croquer un bout, et ce d’autant plus si le gain est joufflu. Et s’il faut torturer la loi pour ça, allons-y.
C’est donc munie de cette logique délicieusement socialiste que Catherine Osson, une députée LREM du Nord, membre active du mammouth mourant encore officiellement intitulé « Parti Socialiste », a décidé de poser une crotte question écrite au gouvernement dont la lecture attentive décèlera une grosse faute d’orthographe et ne pourra qu’éclairer grandement sur la bouillasse qui tient lieu de cerveau aux individus qui échouent dans ces lieux de perdition que sont devenues les Chambres parlementaires françaises. Et les grossièretés ne sont pas de trop lorsqu’on comprend (1) les soubassements véritablement débiles et (2) les motivations réellement hideuses qui sous-tendent la question de l’élue.
En effet, pour elle, s’il est impératif de modifier les principes légaux qui fondent la décision du tribunal administratif, c’est d’abord et avant tout pour corriger l’état lamentable des finances du pays.
Je n’exagère pas et vous avez bien lu : s’il convient de tabasser fiscalement l’un ou l’autre acteur malgré tout dans son droit, c’est pour lui tirer l’argent nécessaire afin de renflouer les caisses mises à mal par une gestion calamiteuse. Pour elle,
Dans une économie qui doit redresser ses comptes publics, (…) il ne peut y avoir de bienveillance pour ceux qui n’acquitteraient pas, à son juste niveau, une contribution au fonctionnement collectif de la société, et donc le paiement de l’impôt à la juste proportion de la richesse produite (…) Voilà pourquoi il est impérieusement nécessaire que les fondements légaux de la décision du tribunal administratif de Paris fassent l’objet d’une très prochaine correction.
Eh ouais : pour Osson, on ne corrige pas parce qu’il y aurait une erreur ou une victime, mais bien parce qu’on doit redresser les comptes publics. Fastoche et détendue de la matraque, n’est-ce pas ?
Oh bien sûr, la député s’empresse dans sa courte question d’insister sur les notions floues d’équité fiscale et de cohésion sociale avec la dextérité subtile qu’emploierait un peintre en bâtiment pour refaire le maquillage d’une mère-maquerelle. Mais cela ne trompe que les petits excités de l’impôt citoyen, festif et vexatoire comme la République en produit de plus en plus à mesure qu’être kapo y est plus rentable que vrai producteur de richesses.
Parce que, pour ceux qui sont restés lucides et comme je le disais plus haut, oui, ce que réclame l’élue socialiste est parfaitement stupide.
Si cette demande était suivie par l’appareil d’Etat, on se retrouverait à remettre à plat tous les accords fiscaux internationaux sur lesquels se fondent les multinationales pour optimiser leur exposition fiscale ; outre que c’est parfaitement débile puisque cela suppose des renégociations internationales alors que la France est dans une situation économique et fiscale désastreuses (et que nous n’avons donc pas de levier pour faire peser nos arguments), c’est aussi extrêmement dangereux parce que cela peut pousser les entreprises à tenir compte rapidement de l’environnement fiscal ultra-défavorable qui sera créé par la suite en France.
Cela se concrétisera au mieux par une non implantation en France – on l’observe déjà, la tendance sera alourdie (bien joué, Mamie Osson !) – au pire par une cessation complète de fourniture des services concernés, et là, je plains le pays qui va se retrouver rapidement en slip sur le plan technologique si ces députés continuent leurs âneries consternantes.
D’autre part, sa petite saillie pathétique est aussi assez phénoménalement hideuse sur le plan moral.
Réclamer une révision de la façon dont les impôts sont perçus avec comme motif essentiel qu’il faut renflouer les caisses du pays, c’est tenter ouvertement de corriger l’incurie des uns avec la bonne gestion des autres. C’est punir l’efficace pour financer l’incompétent.
Pire : il s’agit ici de ce comportement détestable, populiste et paresseux intellectuellement, qui consiste à désigner à la vindicte populaire celui qui s’est enrichi légalement en fournissant un vrai service, de le culpabiliser artificiellement (quitte à modifier la loi pour ce faire), et de lui soutirer son revenu simplement parce qu’il est bien gros, bien juteux, bien dodu, le tout, pour financer un Etat obèse et incapable de remplir ses missions de base et le train de vie scandaleux de ces élus qui pleurnichent sans arrêt la bouche pleine.
Ça, madame Osson, cela porte un nom : c’est de la bonne grosse jalousie, de l’avidité pure et simple, sans la moindre touche de moralité, c’est même pire encore, c’est du socialisme le plus vil.
Et ça, madame, c’est méprisable.