Les quatre textes de ce recueil écrits par Bertrand Schmid sont des Fugues. Il faut, semble-t-il, comprendre ce mot dans deux acceptions: celle de s'enfuir d'un ailleurs, celle de compositions musicales contrapuntiques dont le sujet serait l'ailleurs.
Dans Autres ailleurs, une des pistes de ces fugues est celle intitulée Ailleurs, publiée en 2011 déjà. Les autres textes seraient-ils dans ce cas les autres ailleurs de ce texte-là? Mais non, celui-ci est lui aussi un autre ailleurs pour les trois autres...
Dans Wäre ich ein Berliner, Khachik, un soldat arménien, sous uniforme soviétique, est garde-frontière à Berlin. Il se trouve donc doublement ailleurs, puisqu'il n'est ni russe, ni allemand - et ça s'entend - et qu'ancien berger, il est loin de ses collines:
L'Arménien ferme les yeux, s'efforce d'encore prendre son envol vers ses collines, celles qui au loin continuent de brunir sous les pluies, mais sans cesse ses paupières s'allègent, laissent la vague lueur d'une lune crevotante gémir sur ses prunelles.
Dans Ailleurs, justement, le narrateur s'enfuit d'un ailleurs pour rejoindre celui de celle qu'il aime sans la connaître, emportant avec lui, pour tout bagage, une valise d'enfant, qu'il tient à la main quand il rencontre la femme de ses rêves:
Elle a un fin cou blanc, une peau lisse, c'est un marbre. Elle est de Milo, mais avec des lumières dedans, des chairs pâles de Manet, des azurs comme ce lac où déjeunent les poètes, avec le vert qui les soutient, les muses qui les épuisent.
Dans Larmes de crépuscules, cette fugue artificielle, chaque chapitre porte le nom d'une drogue - opium, clozapine, codéine, quétiapine, cocaïne - à l'exception du dernier - première taffe - qui évoque la plus accessible de toutes, la nicotine.
Yaëlle est face au mur qui retenait une photo à six,sept personnages: Tous en habit du dimanche, en vêtements de maladresse, élimés malgré qu'on ne les porte jamais. De l'usure partout, des regards embrouillés aux godasses dans la boue et le purin.
Melody a une carte et elle est dans la rue. Pourquoi? Ça la regarde. Didier veut la pousser mais il voit ses yeux avec des larmes qui forment des lacs. Y tirebouchonnent des non, des pas ça, des reflux d'horribles, tellement qu'il y devine la honte et la peur.
A quoi riment ces deux récits parallèles de Yaëlle et de Melody? Leur vérité est ailleurs, dans le dernier chapitre...
D'une route est le récit de voies ferrées qui mènent ailleurs: Personne - pas même les plus anciens, ceux dont les années avaient poli les os, ceux qui craquaient à chaque miette de vie, qui buvaient la lie des jours -, personne ne connaissait la destination:
Oh! il y avait des racontars, des ouï-dire, autant de buées dans la pluie. Mais chaque enfant, dès l'âge malingre, le savait, que l'ignorance était celle de tous.
Aux questions ouvertes par ces quatre textes, le lecteur est invité à donner les réponses qu'il veut, ou pas de réponses du tout, si telle est son humeur. L'important est qu'il parte ailleurs, accompagné des mouvements que lui transmet la musique des mots.
Francis Richard
Autres ailleurs, Bertrand Schmid, 152 pages L'Âge d'Homme
Livres précédents:
Ailleurs, Editions d'Autre Part (2011)
La Batrachomyomachie, traduction du grec ancien, Hélice Hélas (2016)
Saison des ruines, L'Âge d'Homme (2016)