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Quand nous parlons de justice

Publié le 24 août 2017 par Samiahurst @samiahurst

Quand nous parlons de justiceJe vous met comme d'habitude mon dernier billet dans le Bulletin des Médecins Suisses, avec le lien vers l'original.
Cette fois, j'ai vraiment senti le manque de place dans le format. L'idée est de continuer la petite série des pauses cafés de l'éthique, où j'avais déjà parlé de directives anticipées, et d'autonomie. Cette fois-ci, c'est la justice distributive. Un gros morceau, pas entièrement adapté au format d'une pause café. J'ai néanmoins tenté l'exercice. N'hésitez pas à commenter!
Et puis l'image: allez jeter un oeil en ligne, vous verrez qu'elle a toute une série de variantes dont certaines sont bien trouvées.
Voici le texte:
«Et la justice distributive, dans tout ça?» Lorsque cette question surgit en consultation d’éthique, les regards se font fuyants. La justice est une autre de ces valeurs importantes mais souvent difficiles. Comment faire? Je vais à nouveau vous faire une «pause-café de l’éthique», car ici aussi quelques éléments assez simples permettent déjà d’y voir plus clair. Vous êtes prêts? Alors on y va:
Premier élément, nous recherchons dans la médecine une égalité plus grande que dans la société en général. Nous tolérons objectivement une grande quantité d’inégalité dans nos sociétés, mais il est tout aussi clair que nous n’accepterions pas que certains soient soignés 200× mieux que d’autres. Cette différence est-elle le résultat d’une conscience de notre fragilité commune, ou du bien commun qu’est notre système de santé? Ici peu importe: plus d’égalité dans la santé qu’en dehors est une attente sociale claire. Pour les professionnels, cela veut dire que la porte du système de santé devrait être en quelque sorte étanche, ou aussi étanche que possible, à des facteurs comme 
le statut social ou les moyens financiers des patients. La justice dans la santé est une exigence pratique, et plutôt élevée.
Ensuite, la question de la justice est souvent posée quand, en fait, on doute du bien-fondé d’une intervention. Ce n’est alors pas le coût élevé, qu’il soit financier ou humain, qui nous fait hésiter: c’est l’idée que le jeu n’en vaut pas la chandelle. Il faut donc commencer par examiner si, effectivement, le bien pour le patient vaut le fardeau pour lui. Si ce n’est pas le cas, on n’est pas devant une question de justice, mais devant une question de limites raisonnables et d’acharnement thérapeutique.
Lorsque se pose effectivement une question de justice, il s’agit de soigner chacun selon ses besoins en termes de santé. Ensuite, plusieurs versions coexistent: s’agit-il de répondre à ces besoins de la manière la plus égale possible? De répondre en priorité aux plus nécessiteux? Ou de faire en priorité ce qui fera le plus de bien? Poussée à l’extrême, chacune de ces versions érode la possibilité des autres. Dans le doute, on peut les combiner en cherchant le chemin qui évite autant que possible l’injustice, sous ces trois formes. En médecine, nous connaissons cela: les médicaments doivent aussi parfois être combinés, et parfois cela implique d’en mo­difier la dose. Cela donnera un résultat imparfait, mais ce sera quand même un bon résultat: plutôt que parfaite, la justice dans la santé doit être suffisante.
Une composante essentielle de cette justice suffisante est la non-discrimination. On ne doit pas faire moins (ni plus) pour un patient en raison de caractéristiques ­personnelles sans lien avec ses besoins. Etre âgé, par exemple, peut changer nos besoins, mais cela ne change pas leur importance. Un autre aspect important ici est que la justice dans la médecine est distributive et non punitive: nous sommes parfois tentés de donner moins de priorité aux patients que nous voyons comme responsables de leur maladie, mais ce n’est pas notre rôle.
Appliquer la justice distributive en médecine, c’est donc ­tenir compte de plusieurs facettes et opérer une certaine résistance contre certains de nos a priori sociaux et personnels. La justice, même si cela se laisse expliquer en quelques points, c’est sans doute effectivement une des dimensions les plus délicates de l’éthique ­médicale. Pour éviter que cet exercice ne devienne trop subjectif, prendre une décision à plusieurs peut la rendre plus équitable. Certains éthiciens prônent même cet élément, la justice procédurale, comme une condition nécessaire de l’équité. En clinique, discuter en équipe plutôt que seul est un pas dans cette direction.

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