Mon autopsie de Jean-Louis Fournier 4/5 (09-07-2017)
Mon autopsie (198 pages) sort le 30 août 2017 dans la collection La Bleue des Editions Stock.
L’histoire (éditeur) :
"Je suis mort.
C'est pas le pire qui pouvait m'arriver."
Jean-Louis Fournier s'est fait autopsié par la charmante Egoïne pour qu'on sache ce qu'il avait dans la tête, dans le coeur et dans le ventre.
Mon avis :
« -Tu as des nouvelles de fournier ? On entend moins parler de lui.
- Peut-être qu’il est mort.
- On le saurait.
- Pas sûr… »
Page 7
Voilà une entrée en matière assez originale et finalement digne de Jean-Louis Fournier, car Mon autopsie est clairement et à proprement parler l’autopsie de l’auteur, qui a choisi de donner son corps à la science.
Et croyez-moi, ce n’est pas parce qu’on est mort qu’on a plus de sentiment ni de conscience et déjà de savoir que son corps, son lui, va vivre une aventure d’un an avec un des étudiants de l’Académie de médecine, ça lui fait quelque chose.
L’heureuse élue sera une femme et il lui attribuera le nom d’Egoïne…… (définition : petite scie à main, composée d’une lame terminée par une poignée.) parce qu’ « Elle est entrée dans ma vie avec une lame. » Page 15
« Nous allons passer une année ensemble. Peut-être une histoire d’amour entre une jeune vivante et un vieux mort ?
Je voudrais être son cadavre exquis. » (Les bras m’en tombent-page 10)
C’est donc elle qui aura le plaisir ? la chance ? le privilège ? de disséquer et connaître l’homme en « profondeur »
« Mes os, mes cheveux, mes cellules qu’elle va examiner au microscope vont lui raconter mon histoire. » (Charme d’antan-page 18)
« Elle va écrire mes mémoires avec son bistouri » (tout nu et tout bronzé-page 15)
À mesure qu’il se fera démembrer, dénerver, décapiter, dépecer… Jean-Louis Fournier va se dévoiler, se raconter, évoquer son amour des belles voitures, de l’art, des femmes :
« Pour excuser ma frénésie, j’avais une explication scientifique.
Je prétendais avoir de la limaille de fer dans le sang et comme les filles étaient magnétiques, j’étais irrémédiablement attiré. » (Les aimants-page 58)
Sa relation avec Dieu :
« Sur mon agenda, chaque année, à la rubrique personne à prévenir en cas d’accident, j’ai toujours écrit consciencieusement Dieu. » (Et Dieu dans tout ça-page 60)
Ses fils et surtout sa fille :
« Elle s’est tournée vers Dieu et s’est détournée de sa famille.
Depuis qu’elle est à Dieu, elle est odieuse. » (Mignonne allons voir…-page 83)
Sa femme :
« On était fait l’un pour l’autre, tant mieux pour moi, hélas pour elle… » (Quitter Sylvie-page 122)
« J’avais peur de la tendresse, de la manifestation des sentiments amoureux, je n’embrassais pas. (…) Sylvie est celle qui en a le plus souffert.
Je me conduisais comme un pauvre con, j’ai honte » (Nu-tête-page 140)
Son parcours (scolaire, télévisuel, cinématographique, littéraire), pas toujours glorieux, parsemé de succès ou d’attaques, et jonché de belles rencontres, son besoin d’être vu, remarqué, reconnu :
« Ma hantise était l’indifférence, passé inaperçu ou, pire, ennuyer. » (La main dans le sac-page 30)
« Je voulais être rassuré, peut-être tout simplement être aimé. » (Applaudissements-page 87)
Encore un texte court, avec peu de mots, mais les bons. Des vérités, des confidences, de l’humour et de l’effronterie.
« Moi qui ai passé ma vie à raconter des blagues, à faire des pirouettes, à me déguiser en clown, moi qui gardais tout à l’intérieur, cette fois je ne vais rien pouvoir cacher. Une autopsie c’est pire qu’un strip-tease.
Elle, que je ne connais pas, va tout savoir.
Ce que j’avais dans le cœur, ce que j’avais dans le ventre et ce que j’avais dans la tête. » (Les bras m’en tombent-page 11)
Au rythme de l’autopsie ainsi, Jean-Louis Fournier parle de lui (une langue coupée, par exemple, est l’occasion d’évoquer son besoin de parler de lui, sa manie du bavardage).
« Est-ce qu’avec son microscope Égoïne va retrouver des mots que j’avais sur le bout de la langue et que je n’ai pas eu le temps de prononcer ? (Egoïne m’a coupé la langue-page 160)
« Sur mon cerveau, elle repère tout de suite une zone très sombre. Certainement là où se nichent mes idées noires, le combustible de mon travail, de mes livres, le charbon d’où j’ai voulu faire naître le feu et la chaleur, mon imagination. » (Le poids du cerveau d’un imbécile) page 69
« Egoïne m’a ouvert l’abdomen, elle va voir ce que j’ai dans le ventre.
Bonne maman disait que j’avais le diable dans le ventre.
Elle ne va pas le trouver, elle va trouver la peur.
J’ai toujours eu la peur au ventre. » (Qu’est-ce que j’ai dans le ventre ?-page 167)
La plume de Jean-Louis Fournier est piquante, pleine d’humour et de cynisme. J’ai retrouvé avec plaisir ce côté authentique, vrai, direct, provocateur, lucide et beau que j’aime dans ses écrits.
« C’était dur d’exister à côté de moi, je voulais être le seul à voler.
Je ne voulais pas partager le ciel. » (Pardon aux oiseaux) page 142
« Pour moi, les phrases étaient des murs. Je les voulais en pierres sèches.
Les mots qui ne sont jamais rencontrés et qui se cognent, ça fait comme les silex des étincelles » (Choc salutaire-page31)
J’aime cette manière simple et directe de parler de tout, même de ce qui peut fâcher, contrarier, choquer. J’aime sa franchise entremêlée de pudeur et son sens de l’observation agrémenté comme il se doit de son cynisme habituel.
« J’étais un faux dur, j’étais mollet. Sensibilité ou sensiblerie ? va savoir.
En revanche faire pleurer j’ai su.
J’ai fait pleurer beaucoup de beaux yeux, des bleus, des noirs, des verts. Après fallait consoler.
J’ai pas toujours su. » (Mes yeux secs-page 85)
Il y a presque toujours dans ses écrits un quelque chose qui me touche, un moment où j’ai la sensation que cet homme un peu trop direct et sans retenu, cache une certaine tristesse.
Oui, je souris beaucoup. Oui, j’apprécie son style sans fioriture, sans courbette (mais pas sans panache ni image bien trouvée), ses brefs chapitres qui s’enchaînent additivement. Mais ce qui me plait le plus c’est cette sensibilité dissimulées derrière ce ton affable, cette impudence et ce cynisme.
« Quand elle m’a ouvert le cœur, quelque chose s’est échappé et est tombé par terre…
Elle s’est baissée pour ramasser.
C’était une feuille d’artichaut » (Elle a ouvert ma cage-page 40)
Il m’a semblé flotter une forme de nostalgie au-dessus de cette table d’autopsie qui m’a beaucoup touchée.
« Avec le temps j’avais l’impression de m’être bonifié.
Je devenais pus patient, plus tolérant, je pensais parfois aux autres, je leur coupais moins la parole, je les écoutais, pensant qu’eux aussi étaient intéressants. Je le dois à Sylvie. Elle m’a affiné comme un fromage, raffiné comme du sucre, fait briller comme un vieux meuble…
Le plus triste, elle n’en a pas profité. » (Un léger mieux-page 183)
Bref, un fournier comme je les aime !