Véronique Tadjo : En compagnie des hommes

Par Stephanie Tranchant @plaisir_de_lire

En compagnie des hommes de Véronique Tadjo     5/5  (30-07-2017)

En compagnie des hommes (200 pages) est disponible depuis le 17 août 2017 aux Editions Don Quichotte.


 

L’histoire (éditeur) :

Un virus mortel et incurable a mis l’espèce humaine face au danger de l’extinction. Baobab, arbre premier, arbre éternel, arbre symbole de grande sagesse, prend la parole et réveille la mémoire de l’humanité. Sous son ombre fraîche, hommes, femmes, enfants pris dans la tourmente, combattants farouches pour la survie, vont confier leur lutte contre les ravages d’Ebola : le docteur en combinaison d’astronaute qui, jour après jour, soigne les malades sous une tente ; l’infirmière sage-femme dont les gestes et l’attention ramènent un peu d’humanité ; les creuseurs de tombes qui, face à l’hécatombe, enterrent les corps dans le sol rouge ; les villageois renonçant à leurs coutumes ancestrales afin de repousser Ebola…

Mon avis :

Véronique Tadjo s’attaque à Ebola et nous entraîne dans la réalité qui a frappé la Guinée, l’Afrique et le monde en 2014 (et jusqu’en 2016). Pour cela elle manie sa plume d’une main d’orfèvre en nous présentant des faits avec réalisme et beaucoup de poésie, mêlant ainsi la beauté des mots à l’horreur de l’épidémie.

« Il suffit aux humains de se toucher pour se contaminer. Pire que la guerre. A présent, la mère, le père, le fils peuvent devenir ennemi mortel. La pitié est un arrêt de mort. (…)

L’Afrique devenue le berceau de toutes les souffrances. Le lieu où se jouait l’avenir de l’espèce humaine. » Page 36

Elle va ici donner la parole à tous, humain, végétal, animal, virus et offrir à tous les acteurs, témoins ou victimes de raconter leur drame (personnel/universel), leur rôle, leur implication, leur vision de l’avenir, leur observation, leur regard (désabusé, inquiet ou plein d’espoir) … 

Le docteur « Pourquoi m’exposer à de tels risques ? Ebola nous pousse dans nos retranchements, nous met le dos au mur. Je ne veux pas laisser le virus remporter la victoire. Je ne veux pas que la maladie prenne le contrôle, s’étende et menace ma famille. Lutter, c’est le prix à payer quand on vit sur la même planète. » Page 46

 L’infirmière « Même dans la mort, Ebola continue à s’acharner. Les cadavres sont des bombes ravageuses. » Page 51 »

Le volontaire local  venus inhumer les corps «  Ce que je crains le plus, ce sont les fantômes. L’autre jour, j’ai enterré une jeune fille. En rentrant, je l’ai trouvée sur mon passage, elle m’empêchait d’avancer.  (…) je ne comprends pas. Je n’ai rien fait de mal. Au contraire, on nous a appris à enterrer les morts avec dignité. » Page 71

« Le chlore est mon meilleur ami. Il sait où Ebola se cache. Il le voit facilement, alors que pour nous les hommes, il est invisible. » Page 73

La mère « Une mère ne peut pas être le témoin de la mort de ses enfants. Ses yeux ne peuvent pas se poser sur leur dépouille, voir les êtres qu’elle a portés dans son ventre mourir sans qu’elle puisse leur donner une fois encore la vie. » Page 81

Le Préfet «  Dans cette guerre sans merci contre Ebola, la parole est une puissante arme. Du moins, c’est ce que je voudrais croire. Mais de nombreuses lourdeurs persistent. » Page 101

« Ainsi il aura fallu la présence des militaires pour que le virus batte en retraite. » Page 106

Le volontaire étranger employé dans une ONG «  Comment aurais-je pu penser qu’un jour des hommes , des femmes et des enfants seraient traités comme des pestiférés et incarcérés de force dans leur propre quartiers ? » page 110

La jeune fille qui a fui « Mon père m’a dit : pars, va-t’en. Va chez ta tante dans la capitale. Le village est maudit. Ne reviens plus jamais. » Page 87

Le fiancé « J’ai peur de la mort, mais davantage de perdre celle que j’aime. Celle qui m’a redonné l’envie de vivre. » Page 128

Le chercheur congolais « On dit que je suis un savant, un homme qui a fait de la science sa vérité. Mais j’ai compris une chose : la raison scientifique ne peut répondre à tous les besoins humains ; dans le combat contre Ebola, les hommes restent les plus importants. Ils sont les agents de leur propre guérison, de leur propre protection. » Page 134

Et bien d ‘autres encore…

Tous ont quelques chose d'important à dire et, à la manière d’un documentaire (mille fois plus poétique et incroyablement beau), Véronique Tadjo leur offre cette chance de raconter, de crier au monde sa bêtise et surtout relever son humanité toujours présente.

« Malgré le chaos, l’aube a continué de se lever et le crépuscule d’annoncer la nuit. J’ai vu le matin frémir d’impatience. (…)

Rien de ce qui fait les êtres humains ne m’a échappé. Je veux raconter leurs histoires, donner une voix à tous ceux qui se sont élevés au-dessus de la frayeur. Etres ordinaires aux actes extraordinaires. Quel que soit le lieu, je veux honorer leur bravoure. La terre est une histoire que nous n’avons pas fini de conter. » Page 36

Oh comme j’ai aimé ce récit, comme j’ai adoré ces mots. J’aurais voulu vous citer deux milles passages criant de vérité, effroyables mais d’une justesse incroyable, beaux et rassurants… le style lucide et chantant où la nature retrouve sa juste place, où la bêtise humaine, l’ignorance et la cruauté font rage, où les illusions sont parfois perdues mais où l’espoir demeure.

« La peur l’a emporté sur la compassion » Page 114

« Depuis des mois je travaille avec des volontaires qui viennent de loin pour lutter avec nous. Je vois comment ils se battent ; je vois combien ils donnent d’eux-mêmes (…)

On ne fait jamais assez. Je ne veux pas manquer le défi qui se pose à nous. Je veux être là pour que les générations à venir sachent que nous avons lutté pour empêcher le règne de l’inacceptable. Nous avons lutté comme des soldats sur le champ de bataille sachant que chaque minute comptait. Mais que chaque minute aussi pouvait sonner la fin de notre existence. Nous avons fait notre devoir sur terre. » Page 65

« Il va falloir des années, pour nous remettre de ce que nous avons vécu. Pour oublier. Je me dis que la vie est incompréhensible. Il faut la mort pour apprendre à retrouver la solidarité. » Page 77

« Quand je vois un sourire sur un visage, je me dis que j’ai fait mon devoir. Ce que je vis dans ce centre Ebola est éprouvant. Mais je n’ai jamais rien connu de plus gratifiant que d’alléger les souffrances. » Page 52

Véritable épopée dans cette catastrophe épidémique qui a effrayé le monde en 2014 et 2015, En compagnie des hommes est un récit très bien construit, sans aucun temps mort, qui tout en retraçant l’histoire de l’épidémie par le biais de témoignages, ne donnant finalement pour autant pas la sensation de lire un documentaire, tant le style est d’une grande beauté.

Sans donner de leçons, par le biais de constat, En compagnie des hommes donne à réfléchir sur la place de l’homme sur terre, sur son rôle et ses faiblesses. Ebola sait !

« Mais ce n’est pas de moi que les hommes devraient savoir le plus peur. Ils devraient avoir peur d’eux-mêmes !» page 141

« Sachez que, chez eux, l’horreur succède à la barbarie ; même quand ils se proclament justiciers d’une bonne cause, ils ont les mains sales. La vérité, c’est qu’ils ne se battent pas pour un idéal. Ils ne se tient pas pour apporter le bonheur à tous, non, l’inhumanité des uns justifient tout simplement la barbarie des autres. Page 148

« Les hommes m’affligent tant ils s’acharnent à leur propre perte. Bientôt je n’aurai plus rien à faire » Page 149

En bref : Venez découvrir ces paroles pleines de bon sens et venez découvrir la plume lyrique et délicate de Véronique Tadjo, vous ne serez pas déçus !