De quoi devons-nous nous « rappeler » ?
Que nous sommes vivants. Mais pour être vivants, nous devons être complètement présents, ici et maintenant. Être vivant, c’est quitter le passé qui n'est plus, ne pas s’accrocher au futur qui n’est pas encore. La vie n’existe que dans l’instant, et c’est uniquement dans cette fraction de temps que nous pouvons toucher la Présence. Et cette Présence se manifeste en nous à partir du moment où nous sommes libres des pensées et des émotions. C’est pourquoi il est essentiel de s’entraîner à calmer le mental et les émotions, en acceptant ce qui est là, en ne luttant pas contre le désagréable ou en ne s’attachant pas à l’agréable. C’est dire « oui » à ce qui est dans l'instant présent.
Nous nous rappelons aussi que nous sommes invités à éveiller en nous la bonté, la compassion, la joie et l’équanimité.
La pratique de la cloche et les autres formes de rappel nous aident également à prendre conscience de ce que nous ressentons, dans l'instant. Suis-je stressé, envahi par des pensées, des émotions ou des états d'âme ? Comment suis-je dans mon corps ? Si j’observe que j’ai des tensions mentales ou physiques, je respire. Sur l’inspiration, je les accueille avec bienveillance, et sur l’expiration, je les calme, je relâche. Cette pratique du rappel est aussi l'occasion de voir avec un regard neuf que nous sommes entourés de beauté, de nous émerveiller devant un beau coucher de soleil, un cerisier en fleurs, ou le sourire de notre bien-aimée... La gratitude va toujours de pair avec la perception d’être vivant.
Ces instants de rappel sont courts en temps, mais pleins en signification...
Oui, mais on peut rarement avoir cette conscience totale en quelques secondes. À un moment, nous mettrons plus l’accent sur la gratitude, à un autre moment, nous nous interrogerons sur notre état d’âme, ou reviendrons à la présence.
La pratique bouddhiste est une voie de transformation et de guérison. Le fait d’être dans l'oubli et l'ignorance de notre vraie nature engendre des perceptions erronées sur soi et sur le monde, et crée en nous de la souffrance. Et cette souffrance se manifeste à travers l'attachement, l’avidité, l’aversion ou le refus de l'impermanence. C’est uniquement dans l’instant présent que se passe le processus de transformation-guérison de cette souffrance.
L’étape suivante consiste à développer en nous l’antidote à l'émotion accueillie. Par exemple, si
l’émotion est la tristesse, nous allons mobiliser nos graines de joie et développer ainsi ce potentiel qui est en nous. Nous allons aussi prendre conscience de ce qui fonctionne bien intérieurement et extérieurement et développer la gratitude. À tout moment nous pouvons appeler en nous la paix, la joie, la liberté... toutes ces qualités présentes au plus profond de nous.
Avec l’entraînement, on arrive à opérer ce retour à l’instant présent et à mettre en œuvre ces pratiques de plus en plus rapidement, dans l'espace de quelques respirations.
« Inviter la cloche » demande-t-il des qualités particulières ?
Dans la tradition du zen, il existe une transmission de la cloche. Frapper la cloche ou le grand bol noir -nous disons « inviter » plutôt que frapper - est une action qui implique tout notre être. Il est difficile au début d’avoir un beau son, porteur d’une énergie positive. La qualité du son dépend de l’endroit où l’on frappe, mais aussi de l’état psychologique dans lequel on est quand on invite la cloche ou le bol. De plus, il faut que les coups successifs aient tous la même intensité.
Celui qui invite la cloche revient à sa respiration, se relie à son centre, conscient qu'il est le porte-parole de la voix du Bouddha, et il récite intérieurement cette gâthâ :
« Corps et esprit en parfaite harmonie, je vous envoie mon cœur par le son de cette cloche.
« Que tous les êtres vivants qui l’entendent sortent du monde de l'oubli, de l'anxiété et de la souffrance, et qu’ils se libèrent enfin et touchent la paix présente en leur cœur. »
Thicht Nhat Hanh nous dit qu’il peut évaluer l’évolution spirituelle de ses disciples à travers trois situations : la façon dont ils marchent, la manière dont ils ouvrent ou ferment une porte, et la façon dont ils invitent la cloche.
Propos recueillis par Juliette Lérins
Revue Source 2015
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