Tellement singulier, ce roman, que, voyez comme je suis parfois ridicule, je n'ai jamais osé vraiment m'y mettre. Alors que L'avalée des avalés est dans ma bibliothèque depuis un bon moment... Il s'agit de son livre le plus connu, il est aussi le premier, paru, comme les suivants, chez Gallimard. J'aimerais vous donner une chance de ne pas mourir aussi idiots que moi et, à défaut d'avoir quelque chose à dire sur un texte que je n'ai pas lu, je peux essayer de vous donner envie en vous proposant les premières lignes. De quoi inciter à aller plus loin, je crois - et je regrette bien de n'en avoir pas le temps ce soir!
Tout m’avale. Quand j’ai les yeux fermés, c’est par mon ventre que je suis avalée, c’est dans mon ventre que j’étouffe. Quand j’ai les yeux ouverts, c’est parce que je vois que je suis avalée, c’est dans le ventre de ce que je vois que je suffoque. Je suis avalée par le fleuve trop grand, par le ciel trop haut, par les fleurs trop fragiles, par les papillons trop craintifs, par le visage trop beau de ma mère. Le visage de ma mère est beau pour rien. S’il était laid, il serait laid pour rien. Les visages, beaux ou laids, ne servent à rien. On regarde un visage, un papillon, une fleur, et ça nous travaille, puis ça nous irrite. Si on se laisse faire, ça nous désespère. Il ne devrait pas y avoir de visages, de papillons, de fleurs. Que j’aie les yeux ouverts ou fermés, je suis englobée: il n’y a plus assez d’air tout à coup, mon cœur se serre, la peur me saisit.