En 2008 l'association PSYPROPOS avait choisi pour thème de ses journées d'étude :
“Dire le plaisir de la langue”
Nous avions naturellement demandé à Marie Depussé de prononcer une conférence inaugurale le 10 Juin 2008 à Orléans.
Avec générosité, elle nous avait proposé de nous dire son plaisir de la langue, à partir de ce beau mot de "parloir" que Beckett avait su lui confier...et qu'elle avait évoqué dès les premières lignes de son tout dernier livre d'alors “BECKETT CORPS A CORPS”.
Voici le texte en souvenir de Marie Depussé, morte le 15 août 2017.
“ÉCOUTE LES FEUILLES
Beckett lisait les textes qu'il aimait à ses amis, ou plutôt, il les récitait, comme il touchait un piano. (...)
Parler, il peut le faire, mais la langue n'est pas un lieu, tout juste un parloir.”
Partant de sa connaissance de Beckett, elle nous permit de cheminer avec elle, dans son propre questionnement de la langue, parmi les amoureux de la langue qu'elle avait pu fréquenter dans ses lectures, ses rencontres, ses surprises, ses trouvailles créant des appositions dont elle nous proposa le partage. L'humour, le sérieux côtoient le tragique, le dire ne se fait pas toujours oublier quand une voix de cette qualité fait entendre l'inouï, tout près du silence.
Voici donc la transcription de son interven-tion qu'elle avait aimablement relue pour la publication des actes de ces journées d'étude.
Le Parloir
Marie DEPUSSÉ
Vous pardonnerez, je l'espère, la désorga-nisation de cette conférence, l'étalement de toutes ces paperolles, comme disait Proust. La demande de Michel Lecarpentier m'a été adressée un peu tard.
Je vais tenir compte, comme je le peux, du thème de Psypropos. Le titre, Le Parloir, me vient de Beckett : C'est un mot à lui. C'est un terme assez triste, mais un peu insolent, aussi. Il n'est pas loin de l'internat, de la taule, mais sug-gère une sorte d'excès, de débordement d'une parole à la fois vide et obstinée, puisque dans un parloir, on ne peut faire que ça, parler. (Les pri-sonniers y font aussi des enfants, qu'on appelle enfants du parloir).
Il est d'usage, ici, de dire son argument. Je dirai d'abord que le plaisir de la langue, on ne peut le dire, il me semble, qu'en se référant au terme de Lacan, cet emboutissement de deux mots comme il aime à en faire, « lalangue ». Ceci posé je dirai que le plaisir le plus incontestable de la langue (je continue, pour répondre au titre, à l'écrire comme ça) est le lapsus ou le mot d'esprit.
Deuxième proposition, le plaisir de la langue, C'est celui de la lecture. J'utiliserai un texte de Proust, magnifique, pour vous le faire entendre. Plaisir à rencontrer la langue d'un autre, dans la solitude. L'écrivain étant mort, ou pour le moins absent, ne nous demandera pas de réponse.
Troisième proposition, que je n'illustrerai pas, le plaisir, rare, qu'on éprouve à entendre par-ler, de préférence à distance, à la radio par exemple, un être qu'on sent seul face à la problématique du champ de la parole et du langage. Son silence nous arrête, et parfois il bégaie. Ce n'est pas qu'il parle mieux, C'est qu'il parle.
Je serai, comme Proust, du côté de la mé-fiance à l'égard de la conversation, bien que je me sois permis d'écrire, avec Jean Oury, Conversations sur la Folie . Je m'en expliquerai, si vous le souhaitez. Le titre m'était venu à cause de Claudel, de ses Conversations dans le Loir et Cher. Cela dit, je suis sûre qu'un livre d'entretiens n'est lisible qu'à partir d'un certain travail de mise en scène, qui relève du théâtre et de l'écriture. À condition qu'un des partenaires prenne la place du scribe. J'emploie le mot dans son sens courant, plutôt vague, pas dans les sens que lui donne Peirce, parce que, pour lui, le scribe ne sait pas ce qu'il écrit. A condition donc qu'un des deux fasse le travail de mise en forme, par écrit, d'un échange de paroles.
Je vais commencer, au risque de vous ennuyer, par tenter de réduire le flottement qui n'en finit pas, pour beaucoup d'entre nous, entre langue, langage, parole.
(...)