Quand Tafa devint seigneur de Tahiti il épousa une princesse qui s’appelait la Grise. De longs cheveux noirs descendaient le long de son corps et tombaient sur ses pieds. Ils se connurent. Ils s’aimèrent. Quand Tafa partit, elle mourut.
Tafa revint de voyage. Sur la grève Tafa apprit que la Grise était morte. Il décida de se rendre aussitôt chez les morts pour la rejoindre. Il se trancha la gorge. Il se rendit à Tataa, à environ vingt milles de Uporu, lieu où les âmes se donnent rendez-vous avant de partir pour le paradis. À Paea il apprit que sa femme était déjà au mont Rotui. Il se précipita au mont Rotui, grimpa au sommet mais là aussi il constata que sa femme était déjà partie. Il ne perdit pas courage, il reprit sa pirogue, parvint à Raiatera, gravit le mont Temehani et arriva à l’endroit où divergent deux sentiers. La grise avait-elle franchi ce lieu ? À son grand soulagement Tuta lui répondit que non. Selon l’avis de Tuta elle devait se cacher dans les buissons et reprendre des forces avant de s’envoler en se lançant du haut de la falaise.
Alors Tafa se cacha lui-même. Il reprit lui-même son souffle et attendit. À peine avait-il apaisé son souffle qu’il entendit un bruit de feuillage remué. Il comprit que c’était un dieu qui lui parlait. Alors il se mit en position accroupie, les yeux grands ouverts, prêt à bondir. Bientôt il vit devant lui la haute et merveilleuse stature de sa femme. Elle se précipitait vers le rocher. Mais avant qu’elle pût s’envoler de la Pierre de Vie Tafa fit un bond prodigieux dans l’air et la prit aux cheveux. Elle avait des cheveux immenses et en y plongeant les poings il parvint à la retenir. La Grise se débattait mais son mari la tenait fermement, la tirant sur la Pierre de Vie. Pendant ce temps-là Tuta était accouru et expliquait à la Grise que le temps n’était pas venu pour elle de quitter ce monde, qu’elle se retournât plutôt. Alors la Grise se retourna et découvrit quel était l’homme qui la retenait par les cheveux.
- C’est toi, Tafa ! dit-elle
Puis elle posa sa tête près du cou de son mari et elle ferma les yeux. Elle ronronnait. Ils se réfugièrent dans les buissons. Ils revécurent. Comme ils vivaient aux confins de ce monde, ils se trouvaient loin de toute vie sociale et familiale. Ils étaient pleins de joie l’un et l’autre. Ils s’aimaient. Ils se tenaient par la main et ils erraient au bord de la falaise, à la limite du vide…
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