La majorité des personnages des trois expéditions qui vont jouer un rôle dans l’histoire des collections d’artefacts des voyages de Cook est en place.
(Voir les 12 premiers articles ; nous suivons toujours la trace d'Adrienne Kaeppler à qui nous devons de longues et patientes recherches dans les musées occidentaux sur ce sujet.)
Une figure émerge, longtemps occultée, et dont le rôle par rapport à ces collections n’est pas aussi anodin qu’on a longtemps bien voulu le penser. Il s’agit de Tupaia, un personnage hors du commun, grand prêtre tahitien à la fois navigateur et traducteur, mais aussi fin connaisseur de différentes cultures locales polynésiennes. C’est Joseph Banks qui l’amena à bord de l’Endeavour lorsque le navire mouillait dans la baie de Matavaï à Tahiti au printemps 1769. Cependant, notre connaissance de Tupaia est assez limitée, longtemps faussée par le journal de Cook lui-même qui a toujours minimisé son rôle durant tout le voyage alors qu’on le sait primordial dans les premiers contacts avec les Maori de Nouvelle-Zélande. Mais un ouvrage passionnant et bien documenté vient de lui être finalement consacré : Tupaia, Captain Cook’s polynesian navigator de Joan Druett paru en 2011 et récemment traduit en français. (Difficile néanmoins de faire la part entre réalité et fiction dans cet ouvrage tant les témoignages sur Tupaia sont peu nombreux).
Elle tire enfin de l'oubli (pour nous Occidentaux) cet homme à l’intelligence exceptionnelle mais qui s’est avéré être aussi un véritable politique retors qu’elle n’hésite pas à qualifier de « Machiavel de Tahiti » !
Pour reconnaître Tupaia... aucun portrait n’existe ! Avec une recherche internet, on est invariablement ramené à ce dessin iconique qui constitue une illustration de premiers échanges entre un Européen et un indigène. Il s’agit en l’occurrence de Joseph Banks qui tend une étoffe et un Maori souhaitant troquer sa langouste. Il y a beaucoup d’expression dans les deux protagonistes... mais incroyablement, ce n’est qu’en 1998 qu’on a identifié Tupaia comme l’auteur de ce dessin et de quelques autres ; le dessinateur ayant été longtemps nommé « l’artiste du chef deuilleur ».
Ces oeuvres sont maintenant conservées à la British Library et parmi elles, le fameux dessin qui a donné le qualificatif à l’artiste, sur lequel on peut contempler un personnage presque surnaturel accompagné d’une danseuse.
Cette dernière, remarquable par ses contorsions de la bouche et de la main, a été probablement dessinée en août 1769 et peut être rapprochée de celles de Sydney Parkinson lorsque les deux hommes ont assisté à des cérémonies à Ra’iatea.
Quant à l’imposant personnage, c’est probablement au cours du rite Heva Tupapa’u qui s’est tenu en juin de la même année que Tupaia l’a dessiné.
Celui-ci est d'une très bonne précision et constitue un témoignage important puisque ces costumes (appelés heva) étaient si sacrés qu’aucun n’a pu être acheté, troqué ni n'a été offert lors de ce premier voyage (ce qui ne sera pas le cas par la suite).
Quelles étaient donc leur fonction ?
1. Dessin Joseph Banks faisant du troc avec un Maori par T upaia © The British Library Add. MS 15508, f. 11.
2. Dessin d’une danseuse et du costume de chef de deuil par Tupaia (resp. août 1769 et juin 1769) © The British Library Add.MS 15508.f.9(a,b)
3. Dessin d’une danseuse par Sydney Parkinson, août 1769 © The British Library