San Giovanni Battista de Stradella, un oratorio aux allures d'opéra au Festival de musique ancienne d'Innsbruck

Publié le 20 août 2017 par Luc-Henri Roger @munichandco

Arianna Venditelli (Salomé) © Perktold


San Giovanni Battista, un oratorio d'Alessandro Stradella créé en 1675 est une oeuvre de musique sacrée  dont la sensualité et la puissance d'expression dramatique peu communes confinent aux modes d'expression de l'opéra. Si le titre de l'oeuvre évoque une personnalité centrale de l'histoire du Christ, celle de la Voix qui crie dans le désert pour préparer la venue de l'Eternel, c'est pourtant le personnage envoûtant et terrifiant de Salomé qui constitue le centre et le moteur véritables de l'action et qui en alimente la théâtralité.
Pour l'édition 2017 du Festival de musique ancienne, Alessandro De Marchi et son Academia Montis Regalis reviennent à Innsbruck avec cette oeuvre que le directeur musical apprécie particulièrement et qu'il avait déjà enregistrée en 2007 chez Hypérion.  La Cathédrale Saint-Jacques d'Innsbruck (en allemand "Dom zu St. Jakob") où est donnée l'oeuvre lui convient particulièrement avec la richesse de son décor baroque luxuriant datant du 18e siècle. 
Pour recréer le contexte historique de l'oratorio, De Marchi a eu l'idée d'introduire un prêche de l'époque, déniché dans la Bibliothèque vaticane, et traduit en allemand, auquel le comédien Florian Huber, dûment costumé en prédicateur, a su donner les accents d'une conviction sincère. De Marchi a de plus habilement  étoffé l'oeuvre de Stradella en l'ornementant de parties symphoniques empruntées à  Lelio Colista et Carlo Ambrogio Lonati, ajoutant les plaisirs du concert à ceux de l'oratorio.

(de g. à dr.) Emilie Renard, Lawrence Zazzo, Arianna Venditelli,
Fernando Guimarães et Luigi Di Donato © Wieser


L'oratorio exige des interprètes de qualité, si nombreux y sont les airs de bravoure qui exigent maîtrise de la technique et virtuosité. Le rôle titre a été confié à l'excellent contre-ténor américain Lawrence Zazzo qui impressionne tant par la beauté de son timbre que par le contrôle de l'émission vocale et la grande délicatesse de son interprétation: il donne un Jean-Baptiste éthéré, détaché des choses de ce monde et qui oppose la douceur de sa foi aux profanations et aux déferlements d'une sensualité criminelle. Luigi Di Donato incarne un Hérode sculptural avec une basse magnifique, puissante et profonde, et un art confondant de la vocalise, remarquable aussi dans l'expression émotionnelle de l'évolution de son personnage qui passe du désir incoercible au doute puis au repentir. On reste admiratif devant son expression de la colère, que son personnage qualifie de jupitérienne. Fernando Guimarães donne par contre un Consigliero un peu terne qui manque de corps et de consistance. La mezzo franco-britannique Emilie Renard séduit en Hérodiade avec une clarté du timbre, une justesse et un art de la colorature qui semblent couler de source mais qui sont  le résultat d'une maîtrise technique exceptionnelle.
Arianna Venditelli remporte toutes les palmes pour l'incroyable virtuosité et la sensibilité exquise de son interprétation du rôle de Salomé. C'est un ravissement et une découverte de tous les instants du travail  minutieux, filigrané d'une interprétation d'une finesse musicale et d'une intelligence émotionnelle rares. La jeune chanteuse, couronnée du prix du public au Concours Cesti 2015, apporte dans son bagage sa connaissance de l'oeuvre de Stradella qu'elle a déjà pratiquée avec MareNostrum pour un enregistrement du San Giovanni Crisostomo. Son étude de la partie de Salomé lui permet d'aborder le rôle quasi de mémoire et d'entrer plus avant dans l'expression dramatique. D'entrée de rôle, dans le "Sorde dive", elle séduit par ses vocalises cristallines dans la répétition colorature de "e il mio re non m'ama più", chanté avec un libertinage charmeur, d'une ingénuité qui ne laisse pas encore présager la rançon abominable qu'elle exigera plus tard d'Hérode. Arianna Venditelli semble  dans ses modulations utiliser l'acoustique particulière de la coupole de Saint Jacques pour démultiplier sa voix  par des effets d'écho, et en déployer les couleurs comme lorsque un arc en ciel s'empare de la surface d'une perle pour en dévoiler et y faire danser l'orient.  S'il n'y a pas à proprement parler de danse de Salomé dans l'oratorio de Stradella, c'est dans le travail de la voix que l'on pourra retrouver la sensualité séductrice de la danse. Plus tard lorsque les terribles exigences de Salomé se font jour, la chanteuse fera montre de ses dons de grande tragédienne baroque, avec des facilités et des montées en puissance dans l'aigu, impressionnantes en fin de colorature. Elle est tout aussi remarquable dans les duos, spécialement dans les deux duos avec Luigi Di Donato, le premier marquant encore l'accord serein de la séduction, et le second, qui est aussi le final de l'oeuvre, séparant les deux amants dans l'approche du crime qui les unit, le triomphe fou de Salomé s'exprimant sur une même musique que le martyre et les tourments qui se sont emparés d'Hérode. L'oeuvre se termine sur une terrible interrogation qui la couronne de sa note tragique: "E perché, dimmi, e perché?", une question bouleversante d'actualité qui nous rend peut-être le répertoire baroque si proche.
Alessandro De Marchi, les musiciens de l'Academia Montis regalis et les chanteurs, ont été remercié d'une immense et longue standing ovation.
Pour suivre la carrière d'Arianna Venditelli, consultez le site de la chanteuse