Par Daniel RIOT
Il n'est pas dans une position très facile, Jean-Pierre JOUYET. Hiérarchiquement sous les ordres de « son ami » Bernard Kouchner, (heureusement « europhile » lui aussi), il est comme coincé entre l'Elysée (où les conseillers les plus influents ne sont pas les plus sensibles aux idéaux européens), Matignon (qui tente de conserver quelques prérogatives) , les différents ministères qui ont un volet « européen » important (économie, agriculture, intérieur, commerce, défense...) et les institutions européennes qu'il connaît de « l'intérieur ».
Qui plus est, son tempérament de « gauche » est souvent perturbé ou contrarié par quelques décisions bien labélisées de « droite »... Mais il apprécie Nicolas Sarkozy et ne doute pas de la sincérité de ses engagements européens. Surtout, il est habité par un sens de l'intérêt général et du service de l'Etat devenu rare. Et sa passion de l'Europe est dictée par un réalisme et un pragmatisme appréciables. Enfin, il est servi, à Paris et ailleurs, par une qualité majeure, trop rare elle aussi : un sens de l'écoute donc du vrai dialogue.
Encore méconnu des Français, complètement étranger au « système people » du paraître et de l'artifice, loin des artifices de la « politique spectacle » mais doté de belles qualités pédagogiques, Jean-Pierre Jouyet, avec son demi-portefeuille de secrétaire d'Etat aux affaires européennes, est devenu l' homme-clef de la présidence française et l'un des meilleurs atouts européens de Sarkozy
Aussi présent à Paris qu'à Bruxelles ou Strasbourg, il s'est attaché, depuis un an, à visiter chacun des 26 autres capitales de l'Union ainsi que ses grands partenaires, comme la Russie. Un vrai marathonien de l'Union européenne. A la fois éclaireur, pompier, urgentiste et semeur d'idées.
Cet Ambassadeur itinérant a déjà réussi à régler bien des dossiers minés (entre Paris et Berlin, notamment) et à améliorer l'image de la diplomatie française en Europe.
Il souffre des procès en arrogance qui sont faits à la France chez nos partenaires.
Il sait que « l'hyperactivisme » très égotiste de Sarkozy doit être compensé par des actes d'humilité, de modestie, d'honnêteté médiatique.
Il connaît trop ces vices gaulois (ou plutôt parisiens) qui transforment tant les institutions européennes en bouc-émissaires. Il a trop médité sur le « mal à l'Europe » dont souffre la France pour ne pas utiliser à plein sa marge de manœuvre et ses champs de compétences. C'est pour mettre ses compétences au service de la France en Europe et de l'Europe en France que cet ancien collaborateur de Jospin, ami du couple Royal-Hollande, membres des Gracques, ces hauts fonctionnaires qui durant la campagne présidentielles avaient prôné (trop tardivement) un accord Royal-Bayrou a « franchi le Rubicon » proposé par Sarkozy, un homme qu'il avait apprécié à Bercy. « Le Président peut changer la donne », a expliqué celui qui avait collaboré à un livre qui était tout un programme : « N'enterrez pas la France ! ». Avec une certitude : C'est par l'Europe que la France , comme les autres pays européens, peuvent assurer son avenir.
Efficacité et honnêteté...Ce pourrait être l'un de ses slogans. Répondre aux attentes des citoyens : c'est l'un de ses soucis majeurs. Rester fidèle aux fondamentaux de la « construction européenne » (et notamment à l'entente franco-allemande) : c'est l'une de ses obsessions.
Il est imprégné de la « pensée Monnet » et de la « méthode Delors ». Son travail dans le cabinet de l'ancien Président de la Commission l'a marqué à vie. En bien.
C'est là qu'il a appris à mettre ses connaissances de technocrate cultivé au service de « l'humain ». C'est là aussi qu'il a vu à quel point les enjeux européens dépassent les clivages droite-gauche. C'est là surtout qu'il a compris que l'Union européenne exige à la fois des convictions profondes et un sens non des consensus mous mais des désaccords surmontés par des compromis forts. Avec une foi de pionnier : en matière européenne, il faut savoir garder la foi malgré les déceptions. L'Europe n'avancera que « pas à pas » disait Schuman. Et plus l'Union sera développée, plus les difficultés seront grandes.
Ce haut fonctionnaire (qui serait sans doute devenu PDG d'EDF s'il n'était pas entré dans le gouvernement Fillon) a du apprendre à affronter les micros et les caméras. Pas simple pour un « homme de l'ombre ». Il le fait avec le souci d'apparaître tel qu'il est. Sans effets de scène et de manches. Dans le contexte actuel, il détonne un peu. D'une façon plutôt sympathique. D'autant plus qu'il ne parle jamais sur des sujets qu'il ne connaît pas. Et qu'il sait, avec tact, donner de la voix. Y compris contre les responsables actuels de la Commission trop enclins à « nier les problèmes ».
Nier les problèmes, c'est une tentation dont les « commissaires » n'ont pas le monopole. Jean-Pierre Jouyet le sait bien. Lui, il s'est lancé en politique pour « voir les réalités en face » : c'est le préalable aux règlements des problèmes, au niveau européen et ailleurs.
Daniel RIOT
Sa bio officielle
Jean-Pierre Jouyet est né le 13 février 1954 à Montreuil-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
Cursus
Ecole nationale d'administration (Ena), promotion Voltaire
Carrière
Chef du service de l'Inspection générale des finances, depuis 2005
Maître de conférences à l'Ena, en 1982 et depuis 2006
Chargé de cours, de 1996 à 1997, puis professeur associé, depuis 2006, à l'Institut d'études politiques (IEP) de Paris
Administrateur de France Télécom, de 2002 à 2004 et depuis 2006, et de la Fondation nationale des sciences politiques, depuis 2006
Président du Club de Paris, de 2000 à 2005
Président de Barclay Bank France, en 2005
Ambassadeur chargé des questions économiques internationales au ministère des Affaires étrangères, de 2004 à 2005
Directeur du trésor au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, de 2000 à 2004
Directeur adjoint au cabinet du Premier ministre, de 1997 à 2000
Avocat associé au cabinet Jeantet & Associés, de 1995 à 1997
Directeur adjoint, de 1991 à 1994, puis directeur de cabinet, de 1994 à 1995, du président de la Commission européenne
Directeur de cabinet du ministre de l'Industrie, du Commerce extérieur et de l'Aménagement du territoire, puis du ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du territoire, de 1988 à 1991
Chef de bureau au service de la législation fiscale du ministère de l'Economie et des Finances
Directeur d'études à l'IEP de Paris, de 1981 à 1988
Inspecteur des finances, en 1980
Fonctions politiques
Président d'honneur du club Témoin, depuis 1999
Président du club Démocratie, en 2000
Dernier ouvrage paru
N'enterrez pas la France, avec Philippe Mabille, Editions Robert Laffont, 2007
Son blog perso
Anecdotes
>>>Pendant la campagne électorale, Jean-Pierre Jouyet avait été étonné, déçu, que Ségolène Royal ne le consulte pas. "Elle ne m'a pas demandé de conseil ni donné signe de vie. Je n'ai pas eu à faire de note. Je suis très clair dans ma conscience et vis à vis d'elle. Je n'ai aucun état d'âme. La dernière fois que j'ai entendu sa voix, c'était en juin 2006", explique M. Jouyet au Monde.
>>> Il avait signé fin mars les appels des Gracques, du nom de ces hommes d'Etat romains qui échouèrent à moderniser son système social, en faveur d'une ouverture au centre et à François Bayrou.
>>> M. Jouyet, se dit ‘de gauche », mais dit ne jamais avoir eu "l'idéologie socialiste chevillée au corps". Il dit avoir adhéré au PS en 2006, pour accompagner son ami François Hollande. Mais s'il a été compagnon de route de la gauche, c'est toujours en tant que "social libéral ou social-démocrate". Ainsi rejoint-il en 1988 le cabinet de Roger Fauroux, ancien patron de Saint-Gobain, au ministère de l'industrie, personnalité d'ouverture sous le gouvernement Rocard. Puis, sur la recommandation de Martine Aubry, alors chez Pechiney, il intègre le cabinet de Jacques Delors à la Commission européenne, dont il devient le directeur.
>>> Il y reste jusqu'en 1995 proche de Delors. Comme Pascal Lamy, il ne croit pas que le père du marché unique sera candidat à la présidence de la République et que la gauche soit "mûre" pour mettre en oeuvre les recettes qu'il préconise. Ce qui le fait abandonner les marges de la politique.
>>> Ce fils de notaire rejoint le cabinet d'avocats Jeantet où il côtoie Hubert Védrine, ancien secrétaire général de l'Elysée sous François Mitterrand. Il se spécialise en droit européen et de la concurrence.
>>> Lorsque la gauche revient au pouvoir après la dissolution de 1997, il devient directeur adjoint de cabinet de Lionel Jospin à Matignon. Non sans avoir reçu, dit-il, l'assurance qu'une politique économique raisonnable serait menée pour accompagner le lancement de l'euro. Il s'y occupera aussi d'Europe sociale et économique.
>>> Nommé en 2000 directeur du Trésor, il est maintenu par la droite et le nouveau locataire de Bercy, Francis Mer.
Fin 2003, il accompagne l'implosion du pacte de stabilité, qui régit l'euro. "Cela a été un des moments les moins agréables". Il a la hantise de voir la France isolée. "Heureusement que les Allemands étaient dans la même situation. Le pacte a été réforme, et d'un mal est surgi un bien", juge-t-il aujourd'hui.
COULISSES
Les quatre mousquetaires de la présidence Sarkozy
À l'Élysée, à Matignon, au Quai d'Orsay et à Bruxelles, de nombreux conseillers et diplomates sont mobilisés depuis deux ans pour préparer la présidence française. Dans les coulisses, quatre personnalités auront particulièrement contribué à l'organiser. Petite galerie de profils différents
Claude Blanchemaison, l'homme-orchestre
Ancien ambassadeur au Vietnam, en Inde, en Russie et en Espagne, Claude Blanchemaison est depuis un an au four et au moulin. Nommé secrétaire général de la présidence française du Conseil de l'Union européenne en juin 2007, c'est lui qui gère le budget de 190 millions d'euros prévu pour l'occasion. Son équipe de 22 personnes a arrêté le calendrier des conseils ministériels qui se tiendront dans l'Hexagone. C'est lui le grand responsable de l'intendance de chacune des réunions, au sommet ou non. Claude Blanchemaison, 64 ans, a aussi le contrôle du label « présidence française », qui sera utilisé dans une quarantaine de manifestations publiques, dont certaines organisées par des ONG et de grandes entreprises.
Gilles Briatta , le coordonnateur
Il est devenu incollable dans la lutte contre les émissions de CO2, l'une des priorités de la présidence française : Gilles Briatta , 48 ans, est par définition à la croisée de tous les sujets européens. Secrétaire général des affaires européennes (SGAE), ce diplomate anime une équipe interministérielle de 200 personnes, placée sous l'autorité du premier ministre, dont la mission est d'assurer au fil des ans la cohérence des positions françaises et de les transmettre aux représentants français, notamment à Bruxelles.
Un travail qui exige d'être en alerte le plus en amont possible sur les projets législatifs européens. C'est aussi à son secrétariat qu'a été confiée la mission de veiller à la transposition en droit français des directives européennes, pratique dans laquelle la France a souvent du retard, ce qui altère sa crédibilité à Bruxelles.
Pierre Sellal, l'ambassadeur
Représentant permanent de la France auprès des institutions européennes depuis 2002, Pierre Sellal, 56 ans, est à la tête de la plus importante mission française à l'étranger. Chargé de défendre les intérêts français directement au Conseil de l'UE, il y remplace parfois les ministres français. Son travail d'influence s'exerce aussi à la Commission et au Parlement européen. En sens inverse, cet Alsacien, ancien directeur de cabinet d'Hubert Védrine au Quai d'Orsay, est aussi le premier à prévenir Paris lorsque la France est montrée du doigt. Pour la présidence, les bâtiments de la représentation française à Bruxelles ont été rénovés et les effectifs renforcés pour atteindre 230 personnes. Cette « RP », Pierre Sellal la fréquente depuis le début des années 1980. Ayant accompli sa carrière diplomatique sur les dossiers européens, sa maîtrise en fait un ambassadeur très respecté de ses homologues des Vingt-Sept.
Henri Guaino, le conseiller (très) spécial
Conseiller spécial à la présidence de la République, Henri Guaino, 51 ans, n'est pas directement en charge des affaires diplomatiques, mais Nicolas Sarkozy lui a confié depuis un an le dossier de l'Union pour la Méditerranée, qui donnera lieu au premier grand événement de la présidence française, le 13 juillet à Paris. De toute la bande des Mousquetaires, il est le plus atypique. Ce souverainiste, (fier de l'être) qui rédige une bonne partie des discours présidentiels, et qui est l'un des conseillers les plus écoutés du chef de l'Etat, a longtemps promu une Union politique euroméditerranéenne, qui se serait passée notamment de l'Allemagne et de la Commission européenne, jusqu'à ce qu'un arbitrage au sommet en décide autrement. Il se félicite en tout cas d'avoir contribué à ouvrir un débat très profond en Europe sur la Méditerranée.Pour le reste, l'importance qu'il accorde à l'Union européenne n'est pas évidente...
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