Mesdames, Messieurs,
Avant tout je voudrais me présenter à vous : élu de Paris et de la région Île-de-France, ambassadeur d'une Île-de-France sans sida, gay, séropositif, activiste, marié et heureux de l’être ! Voilà en quelques mots comment je peux me définir.
Depuis plus de 20 ans, j’ai créé et préside Élus Locaux Contre le Sida, une association qui regroupe plus de 17.000 élus en France et dont le but est d’informer et mobiliser ce public dans la lutte contre le VIH/sida, les hépatites et, bien sûr, la lutte contre les discriminations. C’est un modèle original d’association, unique en son genre en France. J’ai également été membre du Conseil national du sida, organisme français chargé de donner des avis sur les réformes à mener sur la politique de lutte contre le sida en France et président du collectif inter-associatif chargé de l’opération nationale « Sida : grande cause nationale », en 2005.
Dans ma vie, j’ai choisi de faire du combat individuel que je mène depuis exactement 30 ans contre le VIH/sida, un combat collectif, persuadé, en pensant au proverbe ivoirien, que « Quelle que soit la durée de la nuit, le soleil finira toujours par briller. »
Ce combat passait notamment par dire publiquement mon statut sérologique, ce qui n'était jamais arrivé pour un élu dans mon pays. Je reste encore le seul élu français à avoir révélé sa séropositivité bien plus de trois décennies après les débuts de la pandémie. Cette visibilité, même si elle a pu constituer un obstacle sur le plan professionnel et surtout politique, je l’ai souhaité, d’abord pour moi, car cela me donnait la certitude d’être honnête avec moi-même, mais aussi pour aider mes concitoyens, pour leur donner un peu de courage en somme.
Tout au long de ces années d’activisme, ma conviction n’a pas changé : la lutte pour les droits LGBTQI et la lutte contre le sida sont liées. C’est évident mais je préfère le dire : il ne s’agit pas là de lier homosexualité et sida car la majorité des personnes infectées dans le monde sont bien sûr hétérosexuelles.
D'ailleurs, je veux ici rappeler l’attitude exemplaire de la communauté LGBTQI dans le monde qui a bien souvent pallié à l’absence criminelle de réactions des gouvernements au début de l’épidémie et c’est encore le cas dans de nombreux pays, notamment avec un silence criminel vis-à-vis des populations clés. Bien trop souvent le cas dans beaucoup de pays africains, asiatiques ou d'Europe de l'Est.
Dans ces combats, l’union fait la force au sens propre du terme, l’union non pas seulement des associations mais aussi des acteurs LGBTQI dans leur diversité.
Permettez-moi un rapide point sur la situation épidémiologique concernant le VIH et sur la situation des droits LGBTQI en France. Ensuite, j'essaierai de donner quelques pistes pour changer les choses.
I – Situation épidémiologique du VIH en France et situation des droits LGBTQI
* Les hommes ayant des relations sexuelles avec les hommes représentent en France près de la moitié des infections au VIH avec 43 % des nouvelles découvertes de séropositivité en 2015 (2600 découvertes sur les 5925). Ce taux n’a pas beaucoup varié depuis des années, il a même tendance à augmenter alors que les infections chez les hétérosexuels et chez les migrants originaires d’Afrique sud-saharienne, autre population clé en France avec les HSH, diminuent.
Face à ce constat, de nouvelles méthodes de prévention ont été inventées dans le cadre d’une politique qui a dépassé la norme du tout-préservatif pour une prévention diversifiée, une prévention qui s’adapte aux choix, aux envies, et surtout aux possibilités de vie des personnes. En somme, une prévention individualisée grâce à un panel d’outils, avec notamment la consécration du traitement comme outil de prévention dans le cadre du « TASP » test and treat et de la PREP (pre-exposure prophylaxis), qui est autorisée en France, depuis novembre 2015, et, gratuite depuis le 1er janvier 2016. Nous sommes ainsi le premier pays au monde où la PrEP a été remboursée par un système national de santé.
* Dressons maintenant un rapide constat sur les droits LGBTQI. Sur ce point, la France est paradoxale.
Elle a beaucoup évolué et ce dans le bons sens : pénalisation des propos homophobes, ouverture du mariage aux couples de mêmes sexe, adoption, et peut-être bientôt la PMA ouverte à toutes les femmes, l'introduction de modules de lutte contre l’homophobie à l’école … autant de mesures fortes qui ont conduit à une vraie amélioration des droits LGBTQI, notamment quant à la reconnaissance d’un statut de citoyen à part entière, et non de sous-citoyen comme on pouvait le ressentir et le constater auparavant. Cela a amené à une évolution globalement positive des choses, je pense notamment aux enquêtes d'opinion où la très large majorité des Français ne veulent absolument pas revenir sur le mariage gay contrairement, encore aujourd'hui, à certains responsables politiques. Célébrant souvent des mariages de couples LGBTQI à Paris, je constate aussi une très nette évolution des mentalités lors de ces cérémonies toujours très émouvantes et réunissant quasiment à chaque fois des anciens opposants au mariage pour tous, heureux de participer désormais au mariage d'un ou d'une de leur proche. Ils ont enfin compris que donner des droits à une minorité permet en fait à la société entière de s'élever !
Voyons l’autre côté des choses : les débats sur l’ouverture du mariage pour toutes et pour tous ont libéré une parole homophobe et transphobe de manière extrêmement violente. Je peux vous assurer que je savais que ce débat allait être dur et que je suis habitué depuis tant d’années, en tant que personnage public, à être insulté, principalement sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter où je suis très présent et suivi, mais à ce point... C’était incroyable et malheureusement cette libération de la parole homophobe, lesbophobe et transphobe est toujours d’actualité et le groupuscule extrémiste « La Manif pour tous » - organisation largement soutenue par l’Église catholique - qui a mené ce mouvement, existe toujours et a même désormais des élus dans les assemblées locales et régionales. Je le répète, vous ne pouvez pas imaginer le climat de haine et de violence pendant tous ces mois, dans ce que beaucoup d'entre vous considèrent encore comme le pays des Droits de l'Homme. Quand on sait qu’un jeune homosexuel, en France, a quatre fois plus de risques de faire une tentative de suicide qu’un jeune hétérosexuel, je vous laisse imaginer les drames que cette haine a pu provoquer. Mais bien évidemment, ces professionnels de la haine n’y font pas attention ! Ils s’en fichent !
Autre volet dramatique que je veux évoquer : les personnes trans. Les réformes nécessaires les plus élémentaires n’ont pas abouti à des avancées suffisamment probantes, même sur des sujets très simples comme le changement d’état civil. Il nous reste tant à faire, je le répète, simplement pour le respect des droits les plus élémentaires des personnes transgenres.
Il n'est donc pas étonnant qu'en France, la pandémie ne diminue pas chez les HSH et les trans. Quand ces populations continuent à être stigmatisées, il ne faut pas s'étonner que certains LGBTQI refusent d'être des acteurs de prévention et en arrivent parfois à ne plus avoir d'estime personnelle.
II - Après avoir décrit la situation française, la question principale c’est comment fait-on changer les choses dans un pays qui s'approche pourtant de l'égalité réelle et qui a dépénalisé l'homosexualité depuis 1982 ?
Je vous le disais en introduction : selon moi, la lutte contre le sida et la lutte pour les droits LGBTQI vont obligatoirement de pair. Et je pense que le trait d’union est cette notion de « santé sexuelle ». Quand je dis le mot « santé », je ne parle pas du sens restrictif que l’on peut donner quelques fois à la santé ; je pense à la santé comme l’Organisation mondiale de la santé la définit : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. »
Dans cette conception complète et légitime de la santé, clairement le fait de se sentir bien, non-jugé et non exclu du fait de son orientation sexuelle ou de son identité de genre est primordial et central.
Et je rappelle aussi que la santé est un droit et ce droit à la santé ne doit être entravé par aucun jugement moral ou autre.
Dans cette conception des choses, plusieurs acteurs entrent en jeu : la société dans son ensemble, les politiques et la communauté LGBTQI elle-même.
* Premier acteur : la société.
La société, dans son ensemble, doit pouvoir s’interroger sur le regard qu’elle porte sur les LGBTQI. Si l’on parle de la partie prévention en milieu gay, cela ne peut être véritablement efficace que si la personne voit son identité reconnue et acceptée par la société. Or, aujourd’hui, il est toujours très difficile de dire et de vivre son homosexualité ou d'être transgenre : rejet parental, injures, homophobie, transphobie latentes … On peut considérer en partie que la banalisation des comportements à risque et donc la hausse des infections au VIH - principalement chez les gays et les trans - est aussi une des conséquences de ce mal-être et de cette non estime de soi causées par le regard qu’une partie de la société porte sur eux. Porte sur nous. Cette évolution des mentalités doit être portée par un volet essentiel : l’éducation. Et il ne s’agit pas là que d’une déclaration d’intention, des moyens doivent être mis en œuvre pour que cette politique éducative centrée sur l’acceptation de l’autre soit une réalité promue et non pas seulement affirmée dans de beaux discours sans lendemain ! C'est ce que nous essayons de faire, avec la société civile, en région Île-de-France notamment avec le CRIPS dont j'étais le président jusque janvier 2016, mais qui poursuit son action désormais avec mon collègue Jean Spiri.
* Deuxième acteur : les responsables politiques.
Avec ma double casquette d’activiste et d’élu, j’aurai beaucoup de choses à dire sur le milieu politique, un milieu aussi bien formidable tant il peut changer le monde que, parfois, terriblement lâche et réactionnaire. Je crois profondément que, quand on est élu par le peuple, on doit parler à tous ses concitoyens, car lorsque nous sommes élus, nous les représentons tous. Même ceux qui n'ont pas voté pour nous ! Et quand certains élus en France, et pas les moins importants, prennent position de manière violente et profondément humiliante pour qu’une partie de leurs concitoyens n’aient pas les mêmes droits que les autres concitoyens, il ne s’agit pas là d’une erreur politique mais d’un contre-sens complet sur le rôle même de l’élu, sur la définition même de ce qu’est un élu. La société est quelques fois, voire souvent en avance par rapport à ses responsables politiques. C’est pourquoi toute cette activité de lobbying de la société civile est primordiale, tant pour obtenir des droits civils que pour obtenir le droit à la santé. Ce droit à la santé, il comprend le droit à pouvoir profiter des innovations en terme de santé, je pense notamment à la PrEP et ce forcément sans moralisme.
Cela veut dire aussi que les dirigeants des pays qui ont atteint l'égalité ont la responsabilité de soutenir les militants qui vivent dans les pays où l'homosexualité est toujours pénalisée – encore plus de 70 pays en 2017 ! - et doivent s'engager clairement pour la dépénalisation universelle de l'homosexualité.
* Troisième et dernier acteur : la communauté LGBTQI elle-même.
Et quand je dis communauté LGBTQI, je pense à toutes ses composantes : les personnes bien sûr, les associations, les acteurs économiques, les acteurs culturels, etc...
Je crois que l’on doit avoir une réflexion à avoir sur nous-mêmes. Je vous donne un exemple : comment se fait-il qu’il existe encore un phénomène de choix fièrement assumé de ses partenaires en fonction de son statut sérologique alors que l’on sait pertinemment qu’il n’est pas du tout risqué d’avoir une relation sexuelle protégée, voire non, avec une personne séropositive, sans IST et avec une charge indétectable depuis plus de six mois.
Ce message, il doit être porté par l’ensemble de la communauté LGBTQI pas seulement les acteurs de la lutte contre le VIH. Après tout, c’est notre santé qui est en jeu. Il nous appartient de porter des messages cohérents et non discriminants. C’est essentiel et c'est une partie de la réponse à la fin du sida que nous souhaitons tous dès 2030… Si nous discriminons au sein même de nos propres communautés dans nos pays riches, comment voulez-vous que des gouvernement homophobes et transphobes dans les gouvernements du Sud nous considèrent comme des acteurs à part entière ?
En conclusion, n'oublions pas le grand Sénèque : « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »
Nous avons un défi collectif : mener de pair les combats collectifs contre le VIH/sida et pour la reconnaissance des droits des LGBTQI.
Pas l'un ou l'autre !
Mais l'un et l'autre !
Et soyons-en certains : sans reconnaissance des populations clés par les gouvernements comme acteurs à part entière, et si on continue de pénaliser homosexuels, usagers de drogues et travailleuses - eurs du sexe, on ne pourra aboutir, en 2030, à un monde où pourraient naître enfin – quel rêve merveilleux ! - des générations sans VIH/sida.
Je vous remercie.