Andreï Makine a choisi, pour l’écriture, une autre langue
que la sienne. La vie en a, pour partie, décidé ainsi : à la fin des
années 80, trente ans après sa naissance en Sibérie, il a demandé et obtenu
l’asile politique en France. Et est devenu, en langue française, un des auteurs
les plus célébrés, cumulant en 1995, pour Le
Testament français, les prix Goncourt, Goncourt des Lycéens et Médicis.
Seul roman, probablement, dans ce cas. Académicien depuis l’an dernier, il
publie aussi sous pseudonyme(s). Mais L’archipel d’une autre vie, qui est réédité au format de poche, est un livre qu’il a
signé de son nom – le dix-septième.
Une chasse à l’homme dans l’immense taïga russe
extrême-orientale devient une métaphore de la liberté. Pavel Gartzev, qui la
raconte à un jeune homme après que le stalinisme a disparu, évoque cet épisode
comme une révélation capitale. L’identité floue du fugitif se précise, et les
yeux s’ouvrent sur une hypothèse peu crédible auparavant.
Sous couvert de réalisme soviétique des années cinquante,
Andreï Makine bâtit une fable à l’usage du monde. Le récit de Pavel, qui a subi
les excès d’une autorité aveugle, est un passage de relais entre un passé
rigide et un futur proposant une ouverture presque utopique. Non par un
changement de régime politique, presque totalement étranger au roman, mais par
un choix personnel qui échappe au chemin tracé pour chacun dans une dictature
éclairée, ou qui se veut telle. L’archipel
d’une autre vie est, dans le roman de Makine, un lieu précis. Et, encore
davantage, le rêve de ce lieu.
La poursuite de l’évadé – faisons comme si nous ne savions
rien de cette personne, sinon les ordres reçus par ceux qui tentent de s’en
emparer – dure longtemps. Elle s’apparente parfois à un jeu dont le gibier fixe
les règles au fur et à mesure, et dans lequel les pièges se referment sur les
pas des chasseurs, de moins en moins nombreux au fur et à mesure que les
blessures les frappent. La tension s’exacerbe autour de l’intelligence presque
surhumaine dont fait preuve la cible, à la manière d’un animal traqué qui
entraîne ses poursuivants sur un terrain qu’il connaît à la perfection et où il
pourra trouver refuge. Le lecteur s’exalte devant les scènes épiques, et
réfléchit avec Pavel. L’expérience passée de celui-ci lui donne en effet une
perception des événements floue mais plus proche de la vérité.
Le déséquilibre entre les forces en présence
s’inverse : le groupe de soldats pisteurs, s’il est en grande supériorité
numérique dans les pas d’une seule personne, se défait progressivement devant
l’habileté de la proie, les obstacles naturels et, par-dessus tout, ce que pèse
la quête d’un idéal face à des hommes conduits par la faible motivation des
ordres reçus.
Comme souvent chez Andreï Makine, ce qui passe pour une écriture
classique est plutôt un style plat. Seul reproche, et reproche léger.