« La dernière fois que nous avons joué en Suisse, c’était au meilleur festival au monde, tout près d’ici, à Vevey. Vous devriez y aller une fois, c’était magique ». Warpaint vient de finir leur nouveau tube, ‘So good’, aux Docks à Lausanne, au début de cette année. La guitariste Theresa Wayman profite d’une pause entre les morceaux pour partager ses souvenirs de la Nox Orae, sans oublier aucun détail: la balade en bateau, la nage, les montagnes, le coucher de soleil et la beauté du parc Roussy.
Le quatuor féminin californien fait partie de la sélecte programmation des dernières éditions de ce festival au bord du lac Léman, qui allie choix musical et cadre paradisiaque à une échelle humaine. Cet événement, prévu pour 1200 personnes, a déjà vu défiler une vaste galerie d’artistes internationaux de renom, comme Spectrum, Goat, Thee Oh Sees, Unknown Mortal Orchestra ou Soft Moon, ainsi que locaux, tel que Marilou, Zahnfleisch, Forks, Kassette, Solange La Frange, The Young Gods et Aurélie Emery, issus de différentes tendances dans les musiques actuelles, du rock psyché à la World Music, en passant par le folk et l’électro.
La Nox Orae s’est consacrée en 2016 avec un premier sold out et une affluence importante de public suisse alémanique ou français. Les Brian Jonestown Massacre et Thurston Moore avaient couronné deux soirs idylliques, avec la possibilité pour les assistants de voir des têtes d’affiche de grands festivals dans des conditions exceptionnelles.
Le même pari est tenu pour l’édition 2017: The Jesus and Mary Chain et Slowdive, en exclusivité suisse, sont des noms suffisamment attractifs comme pour avoir épuisé la vente des pass pour les deux jours depuis longtemps. De plus, ils arrivent tous les deux avec un nouvel album après des décennies de silence discographique.
Reformés depuis 2014, les anglais de Slowdive bâtissent leurs chansons comme des cathédrales, avec des bases solides et ornées, pour exploser finalement dans des éclats de lumière à travers les vitraux colorés. Formés à l’oreille classique, ces musiciens accordent une très grande importance au développement instrumental de leurs morceaux de pop éthérée et spirituelle, où la voix nage entre les différentes couches de guitare, la basse et la batterie.
Incompris il y a vingt ans, boudé par la critique de l’époque et voué à l’échec commercial, celui-ci est un groupe qui est devenu très influent une fois éteint. La reconnaissance arriva graduellement, d’abord avec un double disque tribute produit par le label allemand Mörr Music avec des artistes de la sphère électronique, puis avec l’émergence d’une nouvelle vague de groupes qui réinventent à l’heure actuelle le style cultivé par Slowdive (Diiv, Blouse, Beach Fossils et bien d’autres).
Tout cela a valu la réformation de Slowdive, avec une tournée en tête d’affiche de festivals comme le Primavera Sound à Barcelone ou la Route du rock à Saint-Malo, en Bretagne. Le groupe vient de sortir un nouvel album après vingt-deux ans (PYGMALION, le dernier, date de 1995), qu’il présentera à la Nox Orae. Le disque dégage une énergie fraiche et nouvelle, suite à l’expérience de rejouer ensemble et de trouver finalement un accueil chaleureux du public.
Le cas de The Jesus and Mary Chain est semblable. Les écossais avaient marqué l’underground britannique au milieu des années quatre-vingt avec leur son qui mélangeait des chansons pop à la Beach Boys avec des murs de feedback, des guitares saturées et une percussion primitive qui renvoyaient le rock à l’ère des cavernes avec un aura pourtant futuriste et très contemporain (il suffit d’écouter ‘You trip me up’ ou ‘Just like Honey’).
Avec Sonic Youth et My Bloody Valentine, The Jesus and Mary Chain ont marqué leur époque en prouvant que le rock pouvait toujours être quelque chose d’excitant et d’intense, en flirtant avec l’avant-garde dans leur travail sur le bruit et la dissonance. Cependant, les écossais se sont dissous après MUNKI, leur excellent disque de 1998 qui est passé complètement inaperçu. Le groupe s’est reformé en 2007 et tourne depuis. Tel que Slowdive, son influence s’est accrue avec le temps.
DAMAGE AND JOY (2017) est alors le résultat de dix ans de réunion des frères Jim (chant) et Will Reid (guitare), un nouvel album à classer parmi le meilleur de la discographie d’un groupe maître de leur art. Cet opus se rapproche de la musique de leur ami Anton Newcombe (Brian Jonestown Massacre), avec un psychédélisme révolté imbibé de spleen nostalgique et d’une jeunesse (sonique) éternelle qui reste toujours touchant.
Dans l’affiche de cette huitième édition de la Nox Orae, se distinguent également Ty Segall et son rock and roll effréné, la transe psyché de Moon Duo et la pop précieuse de Foxygen. Le festival se consacre ainsi avec une excellente sélection internationale, propre à des événements beaucoup plus grands, qu’il est possible de déguster par contre dans des circonstances intimes et dans un paysage de rêve. Parmi les artistes locaux à découvrir cette année, Service Fun reste à retenir, grâce à leur mélange entrainant de rock et afro-beat.
Ce festival, lié à une certaine approche du rock actuel et du psyché, se présente comme une bonne alternative à l’offre culturelle locale (Montreux Jazz, Cully Jazz, Fêtes de la Cité, etc.) , en se positionnant grâce à une personnalité propre. La Nox Orae a réussi grâce à la compréhension de ses moyens et de ses limites, au contraire du naufrage d’un For Noise grandiloquent devenu trop ample et non ciblé.
La Nox Orae pourrait d’ailleurs être présenté comme un cas de réussite d’une PME à travers le temps, en fidélisant et en séduisant un public chaque fois plus nombreux et captif, grâce à sa programmation et au dévouement des personnes qui y travaillent. Le festival s’est ouvert son propre espace, pour y rester.