Quelques années après La Gardienne des ombres, qui évoquait les tribulations d’un lointain descendant de Cervantès à Alger, Waciny Laredj renoue avec le thème de l’héritage andalou de son pays. Dans La Maison Andalouse, publié en arabe en 2010 mais traduit seulement cette année en français, chez Actes Sud, il retrace cinq siècles d’histoire.
Le roman s’articule autour de la demeure qui lui donne son titre, objet d’une lutte acharnée chez les différents protagonistes. Pour Sid Ahmed ben Khalil, morisque échoué à Alger après avoir miraculeusement échappé à la mort pendant l’Inquisition en Espagne, le but est de construire cette maison andalouse, telle qu’il l’avait rêvée avec sa bien-aimée, la marrane Lalla Soltana. Pour Mourad Basta, son ultime descendant à l’aube du XXIe siècle, l’enjeu est de la conserver, alors que des promoteurs veulent la raser pour édifier une tour. Entre l’un et l’autre, les lieux auront été occupés successivement par des pirates, des trafiquants de drogue, et même l’administration coloniale française. Le livre embrasse ainsi cinq siècles de l’histoire algérienne, que l’on traverse avec une déconcertante facilité, porté par le souffle romanesque du récit.
Cette idée de la maison comme condensé de l’histoire d’un pays évoque notamment L’Immeuble Yacoubian d’Alaa Al Aswany, et son Caire miniature. Mais l’ampleur chronologique déployée par Waciny Laredj est rare. Derrière ce qui se lit comme une saga, on distingue clairement une volonté pédagogique. L’auteur en offre d’ailleurs une métaphore à travers les personnages de lycéens qui, lors d’une visite guidée de la maison pour la journée du patrimoine, découvrent des pans entiers de l’histoire de leurs pays. Le lecteur ne manquera pas de se reconnaître dans ces élèves aux yeux émerveillés, à qui la demeure de Mourad Basta ouvre les portes d’un monde oublié, négligé par les programmes scolaires de part et d’autre de la Méditerranée.
Alors que l’ombre du fondamentalisme religieux fait planer en différents points du globe la menace d’un retour à l’obscurantisme, il y a quelque chose d’édifiant à lire l’évocation que fait Waciny Laredj de l’Inquisition espagnole et de son extrême violence, mais aussi sa peinture d’un Alger renaissant où morisques (musulmans) et marranes (juifs) chassés d’Europe vivaient en bonne intelligence avec les autres habitants de la cité. C’est évidemment à cette Algérie plurielle que l’auteur veut rendre hommage, à une époque où le seul métissage possible semble être une occidentalisation brutale, orchestrée à marche forcée par des puissants soucieux d’importer le capitalisme rationnalisé mais certainement pas l’État de droit.
Ce jugement sévère sur l’appareil de pouvoir algérien, dressé à travers le feuilleton des convoitises suscitées par la maison andalouse chez les promoteurs, est contrebalancé par les portraits bienveillants de personnages honnêtes et engagés, comme Mourad bien sûr, mais aussi l’institutrice Sonia, ou le journaliste Youcef. De toute évidence, Waciny Laredj ne veut pas mettre tout le monde dans le même sac, et il prend des précautions délibérées pour éviter cet écueil. Si bien que malgré la dureté du diagnostic posé sur l’Algérie d’aujourd’hui, on referme le livre optimiste. Rien n’est gagné, bien sûr, mais une nouvelle génération s’éveille…