Le Rwanda des jeunes cinéastes

Publié le 16 août 2017 par Africultures @africultures

A l’occasion de la 3ème édition du festival Mashariki (25-31 mars 2017), qui outre des films de toute l’Afrique et de la sous-région présentait des films rwandais, rencontre avec quelques jeunes cinéastes rwandais et regard sur des films rwandais récents.

Ce fut d’abord une réunion organisée sur ma demande par John Kwezi, président de la Rwanda Film Federation qui regroupe les cinéastes, qui restera en retrait de l’échange. Le premier à parler est Nyirinkwaya Ngoma, dont le film Torment (22′) a été présenté la veille à l’Impact Hub Kigali, un centre de coworking et d’innovations, lors d’une soirée consacrée au cinéma rwandais. Dans le film, un homme approche des prostituées pour mieux les connaître. Certaines sont réticentes mais d’autres se confient. Nyirinkwaya Ngoma revendique là une vision personnelle du sujet, regard d’homme sur des femmes : « Je crois que ce type de prostituées n’a jamais existé : c’est moi qui a leurs histoires dans la tête ». Etonnante approche sur le fil de l’impertinence qui donne à l’écran des personnages mêlant méfiance et désir de se confier, meurtris par la vie. Nyirinkwaya a certes traîné dans les bars et discuté avec des prostituées pour développer « au-delà de leurs mots » ce qu’il pouvait imaginer : « cela permet d’aller plus loin ». Les personnages rassemblent ainsi différentes histoires issues du réel. « Enfant, étant le plus jeune de ma fratrie, j’étais très proche de ma mère et de mes soeurs. Cette proximité m’a donné envie de prendre la femme comme sujet ». Le film est sombre, semble mal éclairé : « cette atmosphère nocturne est voulue, en accord avec la noirceur du vécu des femmes ».
Le chef opérateur est choisi dans le groupe d’amis qui voulait faire le film. Il n’aurait pas été question d’aller chercher un technicien extérieur. Autoproduit non sans difficulté, c’est la première réalisation de Nyirinkwaya, qui avoue n’avoir reçu les fonds nécessaires d’un de ses frères que deux jours avant le tournage ! Il a débuté dans le cinéma en 2013 lors d’un atelier, mais il souffre du peu d’intérêt du pays pour le cinéma, alors que « les gens s’expriment surtout par la chanson ».
Guy Xavier Nsengiymya fait partie des quelque 35 000 Burundais s’étant réfugiés au Rwanda pour fuir les exactions commises en 2015 lors des conflits liés à la volonté du président Pierre Nkurunziza de modifier la constitution pour briguer un troisième mandat. Se trouvent ainsi à Kigali une partie des forces vives du Burundi, comme Floriane Kaneza, directrice du festival présidé par Trésor Senga. Avant de partir, Guy Xavier Nsengiymya avait réalisé Après la pluie, un film sur la crise burundaise : « Je voulais écrire sur ce sujet, mais aussi sur la réconciliation et sur la nécessité de demander pardon après avoir fait du mal. » Lui aussi est confronté à la difficulté de faire du cinéma sans moyens alors que « les scénarios sont là ».
En attendant, il a travaillé comme ingénieur du son sur le projet Virungasko, une série de web TV, et s’est aussi investi dans le théâtre interactif, en français et en kinyarwanda, qui est très proche du Kirundi. Pour le cinéma, les autorisations sont difficiles à obtenir. Il aurait voulu tourner un film sur la condition des réfugiés burundais à Kigali, lesquels s’organisent en associations, notamment culturelles…
Poupoune Sesonga, directrice du Urusaro International Women Film Festival (première édition en 2015), nous a rejoints, qui a travaillé comme chef opérateur et, admiratrice de Chaplin, réalise personnellement des films muets, documentaires ou courts métrages comme Kivuto (9′, 2012), film sensible sur un handicapé qui s’échappe pour aller avec les autres enfants à l’école : « Je préfère faire des films muets car je crois plus aux images qu’aux mots. Les actions suffisent à donner le sens. » Cela rend l’interprétation importante, alors que nombre de films sont théâtralement surjoués. « Pour moi, tout dépend du réalisateur qui doit diriger ses acteurs et miser sur leur talent », remarque-t-elle. « J’aime la façon de jouer des acteurs rwandais, leur langage du corps pour exprimer culture et émotions ». Elle met volontiers des enfants en scène, qui représentent spontanément « la société, le continent, tout ». « Pourquoi faire un film ? Tout le monde a une histoire et ces histoires ont une grande force. Le cinéma est un moyen d’en rendre compte dans leur diversité. Et une fois le film fait, il faut un festival pour le montrer ». Son dernier film porte sur les conflits en Afrique, et montre qu’ils sont liés au manque d’identité et de culture.

Alexandre Sibomana est un monteur en train de passer à la production. Il a démarré le cinéma en 2010, à la suite d’un atelier de montage et de son organisé par une entreprise qui l’a ensuite embauché comme monteur. Il montera ainsi dix-huit courts métrages, dont bon nombre ont été présentés et primés en festivals. Face à l’invisibilité des films rwandais, il a décidé de se lancer dans le business : production, distribution. Pragmatique, il pense stratégies de vente. Sa conception de la production n’est pas d’accompagner un réalisateur mais de lui chercher un marché : « si un film se vend bien, c’est que c’est un bon film »…
Pour tous, le problème est aujourd’hui de réconcilier le public avec le cinéma alors que, même si le principal média reste la radio, la télévision s’est généralisée. Elle programme cependant régulièrement des films rwandais, dans des émissions dédiées au cinéma. Dans un petit pays de sept millions d’habitants, l’enjeu du professionnalisme est rendu difficile par la faiblesse des moyens, mais des écoles existent et certains films se détachent. En plus d’une législation et d’une fiscalité favorables, ce que les cinéastes attendent d’une action publique est surtout de développer la filière en termes de production et distribution internationale, de faire venir des spécialistes et des formateurs, notamment dans le domaine de la commercialisation.

De gauche à droite, John Kwezi, Alexandre Sibomana, Poupoune Sesonga, Guy Xavier Nsengiymya et Ngoma Nyirinkwaya. O.B.

Autour d’un pot dans un maquis, nous discutons avec les cinéastes Clémentine Dusabejambo et Jean-Luc Habyarimana. Très vite, la question de la liberté des artistes est posée et donc de leur financement, au risque de tomber dans la répétition des mêmes thèmes d’intervention sociale finançables par les ONG. Pour les deux cinéastes, la solution du marché international n’a de sens que si leurs films trouvent sur place leur pertinence et leur public : « Vous ne pouvez pas faire un film sur votre pays et votre peuple si votre propre communauté ne le comprend pas. Cela n’a pas de sens, même si vous gagnez un prix à Cannes », dit Jean-Luc Habyarimana. De plus, ajoute-t-il, « je n’ai pas le temps d’écrire un scénario durant un an ou deux puis de le soumettre à un fonds d’aide qui le rejettera ! »
« Les films manquent de lien avec ce que cache la réalité. Cet écart va devenir problématique », complète Clémentine Dusabejambo. Son film Behind the Word (2012, dont Jean-Luc Habyarimana a fait l’image) traite de la question des langues au Rwanda. Après le remplacement à l’école du kinyarwanda par le français, ce fut au tour de l’anglais de remplacer le français sur décision gouvernementale en 2008 dans les administrations mais aussi en 2010 comme langue d’enseignement à tous les niveaux. Les médias et les commerces ont suivi. Dans le film, une élève qui ne parle ni l’anglais ni le français est méprisée par ses camarades tandis que le professeur de français en profite pour abuser d’elle.

Affronter le réel reste l’enjeu premier : « Si l’on se cantonne à la facilité, en copiant Hollywood ou Nollywood, cela va être difficile d’avancer sur la question de notre identité et d’amener les gens à s’interroger », dit Clémentine Dusabejambo. « Si on amène un ami à la maison, la maman va encore demander de quelle ethnie il est », ajoute-t-elle. « Pour progresser, il faudrait comprendre les raisons du génocide, mais aussi ses conséquences ». Elle en parle comme d’une responsabilité pour les générations futures, de même que l’on vit avec ce qu’ont fait les générations précédentes.
En abordant le thème du rejet des albinos, elle prend des individus dont l’appartenance ethnique n’est pas posée, mais qui sont marqués par leur différence. Son émouvant troisième court métrage, Une place pour moi (A Place for Myself) a été présenté au Fespaco 2017 (cf. article n°14023) et a fait le tour de nombreux festivals. « Il nous faut mettre sur la table les ombres de notre Histoire et en discuter. Si durant le génocide, les gens avaient massacré ceux qu’ils haïssaient, il n’y aurait pas eu beaucoup de victimes. Il faut revenir sur ce qui fait qu’on finit par tuer son voisin. Il faut aller au-delà du discours actuel », dit-elle.

Inspiré par la présence de camps de réfugiés congolais et burundais au Rwanda, Jean-Luc Habyarimana a consacré son premier long métrage, The Black Belgian (Le Belge noir, 2017), non au génocide en particulier mais à la guerre civile en général « car cela arrive dans toute la région ». Le film met en scène un jeu d’intérêt entre un employé noir de l’ambassade de Belgique qui cherche sa fille enlevée par la milice et un milicien qui le découvre blessé dans sa maison et en profite pour essayer de lui soutirer un visa.

On le voit, l’exclusion et la guerre civile permettent d’aborder les questions posées par le génocide sans forcément entrer directement dans une approche historique d’un sujet sensible sur lequel règne une analyse officielle.
De bons techniciens ne manquent pas, ce qui manque ce sont des producteurs et du matériel. Et de la formation : « Ce n’est pas d’argent que nous manquons en première instance. Pour le foot, on investit dans des écoles avec de bons formateurs. Il faudrait que ce soit la même chose pour le cinéma », dit Clémentine Dusabejambo. Pour le matériel, il faut s’arranger avec le Kenya qui ne le loue souvent pas sans ses techniciens.
L’aide de l’Etat serait également bienvenue pour la promotion des films : « J’aimerais mieux que ce soit le ministère qui paye mon billet d’avion plutôt que l’Institut français ou le Goethe Institut », note Jean-Luc Habyarimana. « Si le gouvernement nous soutenait, nous serions en contact avec les journalistes et les gens pourraient croire en nous », ajoute-t-il. « Il faudrait que le cinéma soit considéré comme un apport économique ». Si un film est primé, on en parle avec fierté pour le pays, « mais quand vous revenez, rien n’a changé », complète Clémentine Dusabejambo.
Compétition rwandaise
Le festival proposait une sélection de films rwandais, qui comportait notamment Torment, abordé plus haut. Les trois courts métrages de fiction sont tous tournés en kinyarwanda. Le film d’Emmanuel Harris Munezero, It Works, qui remporte le prix, se détache par la maîtrise et la délicatesse de son traitement, autant que par son interprétation. Il est cependant affaibli par quelques effets chromos et l’idéalisation des sentiments qui évacue les contradictions, au profit d’une conversion progressive du personnage principal à l’écoute de l’autre.

Histoire de sacrifice et de rédemption produite par l’Evangelical Restauration Church, Beautiful Exchange de Nicole Kamanzi est empreint d’une religiosité qui pèse des tonnes.

Les trois films de la compétition documentaires étaient par contre marquée par une culture télévisuelle et d’intervention sociale. Une pesante musique couvre les six minutes de Football for Peace d’Habib Kanobana, qui de titres en interviews s’emploie à démontrer que le foot est un bon moyen de vivre ensemble après le génocide et de détourner les jeunes de la drogue. Le jury a primé le film : on croit volontiers ce discours univoque, d’autant que tout le monde y croit dans le film et que tout se termine toujours sur le soleil !
Montage rapide, commentaire en voix off, avec quelques courts interviews, Fastest Woman in Africa de Faustin Niyigena associe des images de télévision pour présenter la première championne cycliste rwandaise. En costume sportif durant les compétitions, elle l’est aussi lorsque Faustin Niyigena la filme alors qu’elle rend visite à sa mère et l’aide aux travaux agricoles… Gênant anachronisme alors qu’une distance aurait dû être cherchée, lorsque la mère raconte qu’elle a perdu toute sa famille lorsqu’elle était enceinte d’elle durant le génocide.

Quant à La Femme nue, de Mutiganda Wa Nkunda, il fait réagir les visiteurs d’une galerie sur une peinture de femme dénudée de Willy Karekezi pour évoquer les interdits sociaux de la représentation. Il s’agit d’un produit d’atelier organisé par l’Institut Français du Rwanda et animé par le réalisateur français David Helft sous le thème de « Filmer l’art : de la technique vidéo au portrait d’artiste ».

La Femme Nue (court metrage) from Mutiganda wa Nkunda on Vimeo.

Lors de la soirée consacrée aux films rwandais, était également montré Urugamba de Muniru Habiyakare, qui se définit comme un cinéaste guérilla – un long métrage de fiction dans la lignée des films nigérians dans sa facture, mais doté d’un scénario assez accrocheur : un homme est amoureux fou d’une femme mais n’ose se déclarer, non sans tabasser tous ceux qui s’approchent d’elle ! Musique envahissante, jeu théâtralisé, esthétique de telenovela, scènes qui traînent en longueur… Ce n’est pas pour la forme que ce téléfilm est intéressant mais par son mélange de romance et d’humour autour du fétichisme. Serait-il à l’image d’une société qui n’ose regarder en face l’objet de son désir ?

Autres films rwandais
Dans le sillon du Kwetu Film Institute fondé par le documentariste et producteur Eric Kabera dans le cadre du Rwandan Film Center (rwandafilm.org) qui organise le Rwandan Film Festival (findinghillywood.com), Yuhi Amuli réalise des courts métrages, parfois en collaboration avec Mutiganda Wa Nkunda comme pour son prochain court Amapfa. Sans dialogues, son court de 4 minutes, Ishaba, a fait le tour du monde. Un petit garçon d’une famille pauvre plie des morceaux de papier pour faire des avions quand le vent apporte un billet de 100 dollars, qu’il plie avec la même inconscience… La tension est forte pour un spectateur qui espère le conte de fée ! La caméra comme le montage sont au top, si bien que le film fonctionne à plein régime.
Son dernier court, Akarwa (The Island, L’île, 10′), basé sur un conte rwandais, parle de fidélité : Amina est enceinte mais son amoureux secret ne veut pas l’assumer face au pouvoir coutumier. Le montage parallèle entre deux temporalités et le noir et blanc induisent un déséquilibre bienvenu et permettent à cette histoire plutôt convenue de trouver des accents universels.
Mutiganda Wa Nkunda a également réalisé en 2016 The Secret of Happiness (15′), où une mère conseille à sa fille l’étirement traditionnel des petites lèvres de la vulve (gukuna) pour regagner la faveur de son mari violent, cette violence devenant le sujet du film puisque les efforts de la jeune femme ne pourront être reconnus. Epuré, jouant sur les clairs-obscurs, les silences et des plans de coupe sur la nature, le film a sa beauté et encourage les femmes à se déterminer face à l’adversité. Par contre, il s’abstient de dénoncer le gukuna, mutilation génitale parfaitement patriarcale puisqu’elle n’a pour but que de satisfaire sexuellement le mari (les lèvres allongées sont supposées gonfler pendant l’excitation sexuelle, et fournir ainsi une plus grande surface pour le frottement du pénis), comme si les femmes n’étaient pas bien faites telles qu’elles sont !

ibanga ry’umunezero (the secret of happiness) trailer from Mutiganda wa Nkunda on Vimeo.

Décidément, les pratiques sexuelles rwandaises intéressent : le documentaire du jeune réalisateur belge Olivier Jourdain, L’Eau sacrée, fait le tour des festivals et y remporte des prix. Cette fois, c’est le mystère de l’éjaculation féminine qui en est le sujet, le kunyaza, même si le gukuna est également évoqué comme une pratique positive et enseigné aux jeunes filles. S’intéressant à l’anthropologie, Jourdain choisit un sujet tabou : le plaisir féminin. Au Rwanda, un conte explique qu’une reine a éjaculé le lac Kivu. Partant de ce mythe et s’appuyant sur une sexologue animatrice de radio qui en parle ouvertement sur les ondes et ouvre le débat, Olivier Jourdain va à la rencontre d’un couple et de conversations à la campagne sur les pratiques sexuelles, toujours révélatrices d’une société. La colonisation, la religion, le génocide auraient coupé l’eau. Si elle est sacrée, c’est par son ancienneté, son ancrage dans le mythe. Délibérément poétique, le film épouse les paroles de Vestine Dusabe, l’animatrice qui lutte contre « tout ce qui pourrait nuire à la société rwandaise », notamment ce qui brise les couples. « Kunyaza ? Ça plaît beaucoup aux hommes ! », dit une femme. Et aux auditeurs, et aux spectateurs. Pour renforcer les connotations, Jourdain puise dans les danses rwandaises traditionnelles ou les ablutions. Il est vrai qu’une grande douceur s’en dégage, mais l’absence de point de vue du film peine à masquer le fait que, s’il fut historiquement un moyen de restaurer le plaisir féminin, le kunyaza, encouragé par des médicaments traditionnels renforçant les humeurs vaginales, est surtout perçu comme un moyen de satisfaire les hommes dans leur puissance de faire jouir la femme.

Cet intérêt pour les pratiques amoureuses n’est sans doute pas un hasard à plus de vingt ans du génocide : à la fois retour à une intimité moins torturée et vitrine positive d’un pays qui cherche à faire oublier le drame pour attirer les touristes et les investisseurs en prenant la place d’un Dubaï ou Liban africain comme en témoignent les chantiers d’hôtels et de centres de conférences de Kigali. Mais est-ce un service à rendre au Rwanda que de magnifier des pratiques ancestrales patriarcales, alors même que c’est en interrogeant les structures de domination qu’on évite que ne se répètent les drames de l’Histoire ?

Dans Ishyaka, la volonté de vivre, Joseph Bitamba dresse un bilan apaisé de la réconciliation à travers les témoignages et cérémoniels du souvenir mais aussi les centres d’éducation politique pour la réintégration des forces armées à dominance hutue qui ont combattu au Rwanda et au Congo. Ceux qui sont revenus au pays pour contribuer à son développement y font écho, tandis que sont mis en lumière les gacaca, tribunaux villageois chargés de juger les génocidaires du voisinage, destinés à pallier le manque d’infrastructure de la Justice face à l’ampleur de la tâche en se basant sur la tradition locale des tribunaux pour délits mineurs. Juger les crimes in situ participe de la guérison communautaire. Après nombre de films sur le sujet, celui certes poignant de Joseph Bitamba apparaît comme très consensuel, ne soulevant pas les contradictions auxquelles font référence les jeunes cinéastes.

TRAILER ISHYAKA from joseph bitamba on Vimeo.

Il est clair que, comme le dit un protagoniste du film, les coupables sont bien « ceux qui ont mis cette idéologie dans la tête des gens ». Issue du mythe hamitique et de la mutation du racisme colonial en ethnisme national, cette idéologie sécuritaire diffusée à grande échelle par des partis politiques et des médias ne s’est pas arrêtée en un jour avec la fin du génocide qu’elle a engendrée. Lutte contre le négationnisme, reprise en mains des médias, réponses à l’extrémisme, protection des rescapés et lutte contre les infiltrés, stratégies de réconciliation, exploitation des divisions, pratiques de la société civile et des institutions, responsabilités historiques des confessions religieuses, traumatisme collectif et désarticulation du lien social, reconstruction des infrastructures, crise de l’Etat et du leadership, cadre légal et juridictions, lenteurs du tribunal pénal international, indemnisation des victimes, formes de mémoire, documentation, deuil et sites mémoriaux, bonne gouvernance et démocratie, etc., ., mais aussi patriarcat, condition de la femme et des minorités, intolérance, sphère de l’intime : autant de questions complexes que le Rwanda a dû et se doit encore de débattre pour peu à peu tourner la page et affirmer son avenir, autant de sujets pour un cinéma prenant véritablement en charge cette complexité et à même de partager cette réflexion avec un monde lui aussi confronté aux fureurs absolutistes !