Trois prénoms pour un titre de roman : Mercy, Mary, Patty. Lola Lafon est moins
explicite que la dernière fois (La petite
communiste qui ne souriait jamais), d’autant que seul le troisième prénom,
à condition d’expliquer un peu, évoquera quelque chose au lecteur moyennement
informé : Patricia, dite Patty et qui veut ensuite devenir Tania, est la petite-fille
du richissime patron de presse américain William Randolph Hearst. En 1974, la
descendante est enlevée par un groupe de révolutionnaires dont, en six
semaines, elle adopte si bien les idées qu’elle braque une banque avec eux. Dans
les messages qu’elle envoie à sa famille et au monde, pendant la période où
elle est cachée par ce groupe d’abord, avec ce groupe ensuite, elle bascule
très vite d’un rôle d’intermédiaire chargée de communiquer les revendications à
celui de militante – d’une belle cause, d’ailleurs : davantage d’égalité, nourriture,
enseignement et soins pour tout le monde. Assez pour ébranler une société qui
repose sur la hiérarchie des richesses et des possibilités…
La question qui fut posée à cette époque, et qui l’est à
nouveau dans le roman, est aussi simple que la réponse est complexe : si
elle ne rédige pas ses messages sous la contrainte, Patricia Hearst a-t-elle
subi un lavage de cerveau ou s’est-elle elle-même convaincue qu’il est
nécessaire de faire la révolution ?
Son procès, après qu’elle a été libérée et que le reste du
groupe a été abattu, s’articule sur cette question. A laquelle la famille
Hearst a décidé qu’il y avait une seule réponse : lavage de cerveau, donc
irresponsabilité. Pour faire pencher la balance de la justice de ce côté, une
universitaire atypique, Gene Neveva, à ce moment professeure invitée dans les
Landes, est chargée de rédiger un rapport allant dans ce sens. Elle ne devrait
éprouver aucune difficulté à comprendre ce qui s’est passé puisqu’elle est indésirable
dans de nombreux établissements en raison de ses idées gauchistes et féministes.
L’horreur, en somme… mais que les Hearst ont décidé d’utiliser.
Gene Neveva engage une assistante française, assez jeune
pour porter un regard neutre sur les faits : Violaine, puisqu’elle a dit s’appeler
ainsi (en réalité, elle s’appelle Violette), n’a même aucun avis sur les
événements de mai 68. Chargée de résumer les pièces du dossier, d’en extraire
tout le sens, elle finit par jouer un rôle plus important que prévu dans le
travail de l’Américaine – celle-ci ne songera pourtant pas à la remercier.
C’est Violaine que la narratrice rencontre et qui la met sur
la piste d’un livre écrit par Gene Neveva : Mercy Mary Patty. Voilà les deux autres prénoms. Celui de Mercy
Short, celui de Mary Jemison. « Celles
qui ont déserté leur famille d’origine, qui leur ont préféré les Amérindiens. À
qui on a envoyé l’armée et les prêtres. Qu’elles s’en expliquent et se
repentent publiquement. Mais de quoi ? » Mercy et Mary ont vécu,
comme Patty, il y a beaucoup plus longtemps, un enlèvement après lequel elles
ont profondément changé.
Pourquoi ? Il y a bien eu lavage de cerveau, mais pas
par les ravisseurs, explique entre les lignes Gene Neveva. C’est la société
dans laquelle elles vivaient qui leur a déformé l’esprit en le pliant à ses
normes, et la captivité devenue choix leur a rendu tout ce qu’elles étaient
vraiment. Comme Patty Hearst ?
Tremblez, bonnes gens, toutes vos certitudes font face à un tremblement
de terre dans un roman à la construction complexe et aux interrogations
fondamentales.