« Dans le monde du travail on aime les choses simples. Celui qui n’agit pas comme les autres est forcément un asocial.
Vous avez été licencié économique ? POURQUOI vous a-t-on renvoyé plutôt qu’un autre ?
Vous avez démissionné ? Vous êtes incapable de vous intégrer dans une entreprise
Vous avez connu un drame personnel ? Vous êtes une chochotte
Vous avez essayez de mener un projet personnel, la création d’entreprise par exemple ? Vous êtes un minable parce que vous avez échoué . ET quelle idée d’avoir eu de l’audace quand on vous demande d’épouser la culture d’entreprise de votre employeur ?
Le chômage de longue durée est une autoroute vers les minima sociaux. A ce stade, le revenu diminue, les tracasseries s’accentuent, bienvenue dans le lumpen-proletariat. »
Marouck Rachedi est un auteur que j’ai appris à apprécier au travers de ses deux romans que j’ai lu ("Le petit Malick", et "Tous les hommes sont des causes perdues") mais aussi ses quelques articles publiés dans la presse (L’express, Le courrier de l’Atlas). Je le sais talentueux mais surtout, son écriture, et même ses profils Facebook sont particulièrement truffés de références contemporaines quadra-phile (" Belle ironie pour ceux qui, comme moi, ont cauchemardé en regardant Patrick Goohan répéter qu’il n’est pas un numéro dans la série Le prisonnier. ") et, par-dessus tout, Mabrouck Rachedi sait faire passer des messages d’engagement, humanistes, sans avoir l’air d’y toucher ; sans jamais tomber dans le pontifiant et le donneur de leçon. Je ne m’attendais pas à moins quand je me suis résolu à lire cet "Éloge du miséreux" paru en 2007 aux éditions Michalon. Ironique et léger, truffé de références de culture pop, le style est au service d’un propos dur sur le chômage et la déchéance sociale.
Quatrième de couverture :
"Véritable manuel de survie en milieu hostile qui vous enseignera l’art de bien vivre avec rien du tout, cet Éloge du miséreux est aussi un pamphlet qui prend à rebrousse-poil les discours moralisateurs et larmoyants sur les méfaits de l’assistanat et les dégâts collatéraux engendrés par les minima sociaux. Selon l’auteur de cet ouvrage, disciple de Proudhon, le miséreux représente une résistance salutaire face à la société du travail et de la consommation. C’est le ventre fécond d’où naîtra l’espoir d’une vie basée sur le désir et la passion plutôt que sur la productivité et la compétition. On peut être miséreux et heureux ! Mais, à une condition : au lieu de se mettre au service de la société, le miséreux doit mettre la société à son service."
J’ai particulièrement aimé cet essai qui se cache derrière un récit. Ou le contraire. Mabrouck Rachedi ne se content pas de nous faire la liste à la Prévert des échecs et faille du système de (re)classement de la France, de la déchéance d’un homme, sa chute dans les méandres du monde du chômage ; non, l’auteur nous fait intelligemment vivre dans les pas d’un de ceux que les médias appellent, à longueur d’édito ; les profiteurs du système. L’as des as du système D qui vous montre comment passer à travers les mailles du filet et vivre en sangsue de la société. Mais… est-ce vraiment ça ?
"Tout ce qui se conçoit bien s’exprime confusément. Corollairement, tout ce qui est simple devient compliqué. Parler avec un travailleur social, c’est apprendre une langue étrangère faite d’acronymes et de jargon pompeux "
Évidemment, non. L’auteur, avec une ironique parfois grinçant, et un semblant de légèreté, de je m’en foutisme de la part de ce miséreux qui trouve et enseigne le B.A. BA du profiteur ; dénonce, fustige, démonte le système capitaliste qui fait de l’assistanat le déculpabilisateur d’une société qui voit les plus faibles, ceux qui, à un moment ou un autre, n’arrivent pas à s’accrocher au train de la productivité et de la consommation ; comme la raison de tous les malheurs.
"Mais , bien vite, le miséreux s’improvisera saumon, à nager à contre-courant dans les torrents agités. En créature darwinienne il s’adaptera à son milieu pour mieux le dominer."
Mabrouck Rachedi a le talent de faire de la littérature en faisant un essai d’opinion. Il a le talent de nous dire des choses, de nous transmettre ses révoltes aux travers de sourires, jaunes, grinçants, que provoque le parcours de ce chômeurs particulièrement futé et qui a décidé de faire son maximum pour ne jamais retrouver du travail et vivre, vivoter, survivre, de tous les minimaux sociaux que permettent la France. Mabrouck nous invite à suivre ceux qui sont la lie de la terre et que l’on rend responsable de tous les maux français et il nous dit ; ouvrez les yeux, et réfléchissez-y) deux fois la prochaine fois qu’un reportage racoleur sur les fraudes aux aides sociales seront rendus responsables de tout.
Une lecture que j’ai particulièrement apprécié, évidemment parce qu’elle épouse un grand nombre de mes idées ; mais même ceux qui seront – suppôts de capitalistes (sic !) totalement opposés à cette vision de l’éternel combat du prolétaire contre le pouvoir, même ceux-là trouveront leur compte car Mabrouck Rachedi n’a pas oublié, dans son coup de gueule, de faire ce qu’il aime ; de la littérature.
Eloge du miséreux : De l’art de bien vivre avec rien du tout
Mabrouck RACHEDI
Éditions Michalon