Michel Durafour, l'homme de la synthèse radicale

Publié le 07 août 2017 par Sylvainrakotoarison

" Nous abordons un sujet qui a fait couler beaucoup d'encre, la transparence financière de la vie politique, et à propos duquel la plupart des grandes démocraties ont essayé, avec plus ou moins de succès, de trouver des solutions appropriées. (...) Le parti radical et le mouvement réformateur (...) ont, dès 1970, attiré l'attention sur cet aspect essentiel de l'organisation de la vie politique, lié à sa moralisation, soutenant à la fois l'obligation de transparence des recettes et des dépenses des partis et des candidats et la nécessaire déclaration de la situation patrimoniale de ceux qui aspirent à gérer les affaires de la nation. Il s'agit non pas de défiance, comme quelques-uns l'ont dit ou le craignent, mais d'une règle démocratique à laquelle chacun doit se soumettre, en la ressentant non comme une contrainte, mais comme un honneur. (...) Je crois qu'il sera sage, ces textes étant votés, de considérer que le travail n'est pas terminé pour autant, de réfléchir à nouveau sur tous les aspects de la transparence de la vie publique qui demeurent dans l'ombre, de parler aux Français un langage de vérité sans trop se soucier des sondages qui montrent une réticence de ceux-ci à parler du financement de la vie publique, de définir une fois pour toutes, et en termes clairs, les rapports entre l'élu et la nation. Ce sera sans doute l'une des tâches, parmi beaucoup d'autres, des prochains gouvernements de la République. " (Michel Durafour, le 11 février 1988 au Sénat).

Les radicaux s'apprêtent à se réunifier. Divisés structurellement depuis 1972 et le programme commun de la gauche, entre ceux qui l'ont accepté, minoritaires, sous l'égide de Robert Fabre et Maurice Faure, partis créer le Mouvement des radicaux de gauche (MRG) devenu le Parti radical de gauche ( PRG), et ceux qui refusaient l'alliance avec les communistes, sous la houlette médiatique de JJSS à la tête, pendant quelques années, du Parti radical valoisien ( PRV), les deux courants radicaux représentant le parti le plus ancien de la République ont estimé, après l'élection du Président Emmanuel Macron, que leurs divisions étaient devenues anachroniques. Après un week-end organisé les 16 et 17 septembre 2017 à Montpellier par le PRG (les "Journées d'été du radicalisme et du progressisme"), le PRV devrait organiser un congrès radical de refondation les 9 et 10 décembre 2017.
Ils seraient bien inspirés de choisir Saint-Étienne comme lieu de cette réunification, ville symbole d'un ancien ministre symbole des radicaux des deux rives. Michel Durafour, son ancien maire, grand ami de Simone Veil, vient de mourir à 97 ans le jeudi 27 juillet 2017 à Saint-Étienne après six mois d'hospitalisation. Il est né le 11 avril 1920, aussi à Saint-Étienne. Il aurait dû certainement se réjouir de l'élection d'Emmanuel Macron à la Présidence de la République, second centriste à entrer à l'Élysée et premier à véritablement tenter de casser le clivage droite/gauche.
Michel Durafour fut le fils de l'avocat Antoine Durafour (1876-1932), maire de Saint-Étienne du 27 juillet 1930 au 25 avril 1932, président du conseil général de la Loire de 1921 à 1931, député de mai 1910 à avril 1932 et Ministre du Travail, de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociales du 17 juin 1925 au 19 juillet 1926, sous les gouvernements de Paul Painlevé et Aristide Briand. Antoine Durafour fut l'auteur de plusieurs lois sociales comme celle des "5 sous des Poilus" durant la Première Guerre mondiale, les premières assurances sociales et la limitation à huit heures de travail par jour pour les mineurs. Michel Durafour fut par la suite, comme son père, maire de Saint-Étienne et Ministre du Travail.

Après de brillantes études à Science Po Paris en 1941, Michel Durafour s'est engagé dans l'action politique après la guerre, d'abord au sein de l'UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance, petit parti centriste charnière dont fut membres François Mitterrand, Eugène Claudius-Petit et René Pleven), puis à partir de 1948, au sein du Parti radical. Élu adjoint au maire de Saint-Étienne d'octobre 1947 à décembre 1964, il fut élu maire de Saint-Étienne le 21 décembre 1964 pour la succession du maire Alexandre de Fraissinette (1902-1964), ancien déporté de Buchenwald, mort onze jours auparavant et maire gaulliste (RPF) puis indépendant (CNIP) depuis le 25 octobre 1947. Michel Durafour fut réélu maire le 21 mars 1965 et le 27 mars 1971.
À Saint-Étienne, Michel Durafour porta attention notamment au développement culturel. Il fut également élu conseiller général de la Loire de 1949 à 1955 et de 1967 à 1979. En 1965, il vit sa carrière politique, comme maire de grande ville, s'ouvrir sur le plan national : il fut élu d'abord sénateur de septembre 1965 à avril 1967, puis député de mars 1967 à mai 1981, dans la circonscription de l'ancien maire et prédécesseur Alexandre de Fraissinette (occupée par le suppléant de ce dernier Bernard Muller entre 1964 et 1967). Il siégea, de 1967 à 1973, dans le groupe centriste nommé Progrès et Démocratie moderne (PDM). Par ailleurs, il fut élu conseiller régional de Rhône-Alpes de 1974 à 1997, et même président du conseil régional de Rhône-Alpes de 1980 à 1981.
Entre mars 1973 et mai 1974, Michel Durafour présida le groupe parlementaire des Réformateurs à l'Assemblée Nationale : les Réformateurs furent un début de rassemblement des centristes, future UDF, union entre les centristes de Jean Lecanuet (les centristes non pompidoliens) et les radicaux de JJSS. Ce fut à ce titre qu'il fut nommé au gouvernement de Jacques Chirac lors de l'élection de Valéry Giscard d'Estaing à la Présidence de la République, Ministre du Travail du 28 mai 1974 au 25 août 1976. Sous les gouvernements de Raymond Barre, il fut nommé Ministre délégué auprès de Raymond Barre, chargé de l'Économie, des Finances et du Budget du 27 août 1976 au 29 mars 1977. Un poste stratégique puisque Raymond Barre cumulait à la fois Matignon et Rivoli (ex-Bercy). Dans ce cadre, il baissa la TVA de 2,5% en janvier 1977 pour freiner l'inflation et encouragea fiscalement les entreprises faisant des économies d'énergie pour réduire les importations de pétrole.

Si entre 1973 et 1977, Michel Durafour est devenu l'un des ténors du radicalisme, son étoile palit dès les élections municipales de mars 1977 et il allait vivre une dizaine d'années de perte d'influence politique tant nationale que locale. Après douze ans de mandat, emporté par une vague favorable à la gauche, Michel Durafour fut en effet battu à la mairie de Saint-Étienne par le communiste Jacques Sanguedolce (1919-2010), à la tête d'une liste d'union de la gauche. Il ne fut donc pas renouvelé au sein du nouveau gouvernement, et retrouva son mandat de député en mars 1978. Membre du groupe UDF, il présida alors la commission de la production et des échanges (industrie et commerce) de la chambre basse. En juin 1981, Michel Durafour fut battu également par un candidat communiste, Paul Chomat, lors des élections législatives anticipées. Il ne retrouva un siège de parlementaire qu'aux élections sénatoriales de septembre 1983 pour un (second) court mandat de sénateur (jusqu'en mai 1988).

L'une de ses dernières interventions en tant que parlementaire a eu lieu le 11 février 1988 lors de la discussion au Sénat du projet de loi organique relatif à la transparence financière de la vie politique [n° 227 (87-88)]. Comme on le voit, les projets de moralisation de la vie politique ne sont pas nouveaux, cela fait trente ans qu'il y en a ! Michel Durafour était favorable à l'obligation de déclaration de la situation patrimoniale des candidats, mais opposé à la déductabilité fiscale des dons faits aux candidats : " Accepter la déductibilité des dons prévus à l'article L.O. 163-3 du code électoral revient à faire payer par un tiers, non consentant, une partie du don, ce qui est tout à fait extraordinaire au niveau de la conception. Chacun sait en effet que le budget est constitué par une masse globale, a priori invariable ou, du moins, peu variable, et que toute déduction fiscale consentie à une catégorie revient à surimposer le reste des contribuables ou à augmenter l'impasse budgétaire. ".
Barriste (l'élection présidentielle du printemps 1988 se rapprochait), il a rappelé, au cours de ce même débat parlementaire, que Raymond Barre, alors Premier Ministre, avait déposé dès 1979 un projet de loi sur le financement public de la vie politique qui ne fut jamais mis à l'ordre du jour au Parlement, car personne dans la classe politique n'en voulait : " Je constate que le seul gouvernement à avoir déposé avant ce jour un projet de loi sur le financement public des partis politiques a été celui de Monsieur Raymond Barre, le 24 septembre 1979. Ce texte, malheureusement, n'a jamais été discuté. Député à cette époque-là et membre de la conférence des présidents de l'Assemblée Nationale, je l'avais vivement regretté, cela en raison de réactions hostiles fusant d'un peu partout. Mais l'ancien Premier Ministre connaît le risque qu'il y a à avoir raison trop tôt. ".
Michel Durafour profita de ses échecs électoraux pour devenir professeur des universités à Paris-Dauphine, à la Sorbonne et à Lyon-III, et surtout pour continuer l'écriture de nombreux romans policiers, historiques, d'aventure ou d'espionnage (plus d'une vingtaine sous différents pseudonymes), activité qu'il a toujours menée en parallèle depuis les années 1950 (il fut même récompensé d'un prix en 1963).

Très habile à surprendre son monde, le Président François Mitterrand a choisi, après sa réélection, Michel Durafour, ancien de l'UDSR, parmi d'autres personnalités d'ouverture (notamment Bruno Durieux, Lionel Stoléru, Jean-Marie Rausch, Jacques Pelletier et Jean-Pierre Soisson) pour tenter d'élargir sa majorité vers sa droite. Michel Durafour fut ainsi nommé Ministre de la Fonction publique et des Réformes administratives dans les gouvernements de Michel Rocard du 13 mai 1988 au 15 mai 1991, avec le rang de Ministre d'État à partir du 22 février 1989. Dans ces fonctions, il a réussi à faire signer un accord qui réformait la grille de la fonction publique le 9 février 1990 avec cinq syndicats importants.
Faut-il rappeler un incident très médiatisé qui plaça à l'époque Michel Durafour bien involontairement au centre d'une polémique bien pitoyable ? Parce qu'il avait considéré le Front national comme son principal ennemi politique, Michel Durafour fut victime des diatribes de Jean-Marie Le Pen le 2 septembre 1988 lors de l'université d'été du FN au Cap d'Agde avec un humour particulièrement odieux et honteux pour les victimes de la Shoah : " Monsieur Durafour et Dumoulin, obscur ministre de l'ouverture, dans laquelle il a d'ailleurs immédiatement disparu, a déclaré : "Nous devons nous allier, aux élections municipales, y compris avec le parti communiste, car le PC, lui, perd des forces tandis que l'extrême droite ne cesse d'en gagner". Monsieur Durafour-crématoire, merci de cet aveu ! ". Cette "injure publique envers un ministre" coûta au chef du FN le 7 décembre 1993 la condamnation définitive à 10 000 francs d'amende et fut la cause du départ du FN de quelques cadres importants comme l'unique députée FN Yann Piat (assassinée le 25 février 1994) et les anciens députés François Bachelot et Pascal Arrighi. Tous les trois avaient jugé ce calembour plus que douteux.

Après son "expérience socialiste", Michel Durafour fut nommé Conseiller d'État "en service extraordinaire" de 1992 à 1996, sorte de placard doré pour anciens ministres quand ce n'est pas une carrière administrative. En 2007, il apporta son soutien à la candidature de Ségolène Royal. Son enterrement a été célébré le 1 er août 2017 à la cathédrale de Saint-Étienne par le nouvel évêque de Saint-Étienne, Mgr Sylvain Bataille (depuis le 18 mai 2016), en présence en particulier du maire actuel de Saint-Étienne Gaël Perdriau (LR), de son prédécesseur socialiste Maurice Vincent (actuellement sénateur LREM) et du député socialiste Régis Juanico (ex-frondiste sous François Hollande).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (05 août 2017)
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Pour aller plus loin :
Michel Durafour.
JJSS.
Maurice Faure.
Robert Fabre.
Raymond Barre.
Jean Lecanuet.
Laurent Hénart.
Jean-Michel Baylet.
Simone Veil.
La famille centriste.

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