Véronique Tadjo : En compagnie des hommes

Par Gangoueus @lareus

Crédit Photo Rama


J'aimerais vous dire pourquoi j'aime le travail de Véronique Tadjo. En compagnie des hommes est la quatrième œuvre littéraire que je lis de cette grande romancière ivoirienne. Et la première chose que je remarque quand on aborde l'oeuvre de Tadjo, c'est qu'il ne faut pas s'attendre à retrouver un style, une trame, des personnages, des discours répétés chez elle. Chaque texte est une nouvelle invention. Le lien que j'ai personnellement identifié dans mes lectures de Véronique Tadjo, c'est son sens de l'originalité qu'elle cultive et que le lecteur retrouve sous des formes diverses : 
  • Originalité du sujet
  • Originalité de la forme du discours choisi. 
Ce qui caractérise à mon humble avis l’oeuvre de Véronique Tadjo, c’est le talent indéniable qu’elle possède à simplifier, faire oeuvre de pédagogie sans en donner l’air. Cette élaboration d’un texte à la fois accessible et soutenu n’est pas l’apanage du premier venu. En compagnie des hommes est porté par ce travail d’orfèvre. Ici, elle ne questionne pas la tragédie Rwandaise (A l'ombre d'Imana), l’infanticide fondateur du peuple baoulé en Côte d’Ivoire (Reine Pokou : Concerto pour un sacrifice) ou l'univers d'un intellectuel africain (Le deuil de mon père). Navigant entre les genres littéraires,  elle peut passer du conte à la poésie, du roman au livre de jeunesse.
Ce nouveau roman parle d’un mal qui a profondément bousculé l’Afrique de l’Ouest par son ampleur, sa violence et l'impuissance des pouvoirs publics. Trois pays en particulier. Le Liberia, la Guinée ou la Sierra Leone ont été frappés en 2014 par l’épidémie Ebola. Avant de traiter du sujet, il est important de revenir sur cette maladie spectaculaire, terrifiante et mortelle. Son traitement médiatique a soulevé inquiétude et angoisse, sans que l’on sache réellement comment ces deux années ont été réellement vécues sur le terrain. Véronique Tadjo nous propose de plonger dans le contexte de cette épidémie. Pour cela, elle décide de donner la parole à plusieurs acteurs, observateurs, ou victimes. Et le procédé est ingénieux. La polyphonie a pour objet premier de faire écouter différents discours au fur et à mesure que la crise sanitaire s’étend.
Plusieurs personnes parlent donc. Un baobab désabusé, arbre plusieurs fois centenaire. Des chauves-souris, incubatrices. Des fossoyeurs. Une infirmière dévouée. Le préfet. Une mère. Un étranger. Le virus lui-même… La narration suit aussi une chronologie cohérente.
Véronique Tadjo écrit là un roman extrêmement subtil, documenté sur une épidémie et sa gestion au niveau local, régional, national, mondial. J’ai cru entendre dans son roman un discours sur la perte de contrôle, sur les inconséquences des actes posés par des hommes sur la nature et en particulier sur la forêt. En particulier son exploitation sauvage. Parole de baobab :
Nous étions là pour durer. Nous étions ici pour étendre notre ombre au-dessus des contrées les plus reculées. Nous étions ici pour murmurer dans notre feuillage les secrets des quatre coins du monde. Mais les êtres humains ont détruit nos espoirs. Partout où ils se trouvent, ils s'attaquent à la forêt. Nos troncs s'écrasent dans un bruit de tonnerre. Nos racines dénudées pleurent la fin de nos rêves.
 p.22 En compagnie des hommes. Editions Don Quichotte
Ebola, le virus, affirme lui-même dans sa plaidoirie qu’il a toujours été là. Mais que certains gardes-fous ont juste été levés. 
Je n'aime pas voyager. Je préfère rester au fin fond de la jungle intouchée, là où je suis le plus heureux. Sauf quand on vient me déranger. Sauf quand on vient déranger mon hôte. Car lorsque je sors brusquement de mon sommeil, je vais d'un animal à un autre.
p. 142 - En compagnie des hommes. Editions Don QuichotteC’est aussi une analyse sur les solidarités internationales qui ont peiné à se mettre en place. Que dire de la question de la santé publique en Afrique subsaharienne ? Le texte de V. Tadjo met en exergue le constat fait récemment à la conférence annuelle de l’Afrique des idées sur le thème « Le numérique pour relever des nouveaux défis de la santé publique en Afrique » : le manque d’anticipation et le laisser-aller des pouvoirs publics.
Plus on progresse dans le livre, plus il prend la forme d’un thriller. Parce que le lecteur finit par revivre d’une certaine manière le caractère angoissant de l'expansion de la maladie, le climat de suspicion autour de cette maladie foudroyante qui change le rapport à l’autre, tient ce dernier à distance dans des  sociétés où le contact physique prévaut. Elle bouscule même les rituels de funérailles. Bref, il fallait penser à écrire sur un tel sujet. C'est donc un objet magnifique, difficile aussi (comme l'indiquer l'illustration reprise d'une oeuvre de l'artiste plasticien Barthélémy Toguo).Véronique Tadjo, En compagnie des hommesEditions Don Quichotte, première parution en 2017, 167 pages.