Aux Baux-de-Provence, le Val d’Enfer offre un paysage minéral assez exceptionnel qui, à lui seul, suffit à attirer les visiteurs. Il abrite aussi un lieu singulier, une carrière de calcaire blanc creusée dans une colline, qui fut exploitée jusqu’en 1935. Aujourd’hui, ses grandes salles communicantes aux murs lisses et clairs sont connues sous le nom de Carrières de Lumières ; elles accueillent chaque année, depuis 2012, une « exposition d’art immersive ».
Les historiens de l’art se méfient à bon droit des spectacles qui se fondent sur des œuvres, célèbres ou méconnues. Parfois complexes et dépouillées au prétexte d’élitisme, souvent simplistes au nom d’une vulgarisation mal comprise, ces attractions atteignent rarement leur but. Tel n’est aucunement le cas de celles organisées aux Carrières des Lumières et produites par Culturespaces, qui réservent aux spectateurs les plus exigeants une réunion de fresques mouvantes d’une belle puissance évocatrice. Il faut imaginer, dans ce vaste lieu clos, 7000 m2 de murs, sols et plafonds sur lesquels est projetée, grâce à une technologie laser, une suite de 2000 images numériques de haute qualité. Le programme de 2017 (jusqu’au 7 janvier 2018) est consacré à trois maîtres de la peinture du XVIe siècle, Jérôme Bosch, Pieter Bruegel (et sa dynastie), enfin, Giuseppe Arcimboldo. Au fantastique halluciné (quasi surréaliste) et d’un humour grinçant du premier, succèdent le réalisme des scènes de genre du second – fêtes villageoises, banquets, etc. – et le maniérisme du troisième, dont les portraits allient nature morte et anamorphose, pendant une trentaine de minutes.
Les êtres hybrides et autres « diableries » de Bosch (présents dans Le Jardin des délices, La Tentation de saint Antoine, Le Triomphe de la Mort, La Chute des Anges rebelles…) traversent les salles et s’animent ; de terribles trognes (Le Portement de la croix) envahissent l’espace ; des corps enlacés font la fête ; des démons étonnants donnent libre cour à leur sadisme. Leur succèdent les paysans en goguette (Fête villageoise) et ceux, suppliants, du Massacre des innocents de Bruegel; viendra plus tard l’architecture fascinante de la Tour de Babel. Une suite de natures mortes de Frans Snyders fournira une transition habile vers les portraits, composés de fleurs et de fruits, d’Arcimboldo.

L’atmosphère surprend le spectateur, sidéré par la féérie qui l’entoure, qu’accompagne une bande-son bien adaptée aux œuvres proposées : Carmina Burana de Carl Orff, Les Quatre saisons de Vivaldi, Tableaux d’une exposition de Moussorgski et, belle trouvaille… Stairway to heaven de Led Zeppelin. Le seul grief, par ailleurs mineur, que l’on pourrait faire à ce spectacle concerne Les Quatre saisons, annoncées comme « recomposées » par Max Richter – doux euphémisme derrière lequel se dissimule un massacre , certes moins à la tronçonneuse qu’au scalpel, de la partition, au point que le mélomane a hâte que L’Hiver se termine !
