La vie réserve parfois de drôles de surprises. Surtout ces derniers jours, en lisant la presse et en découvrant les noms d'amis socialistes perdus de vue...
Jeune, j'ai pratiqué à fortes doses le syndicalisme étudiant. Je sortais du mouvement Devaquet, j'avais le sentiment qu'au prochain mouvement social le monde changerait ! Nous n'étions qu'une poignée d'étudiants à faire vivre le syndicat sur le campus, si bien que les plus assidus d'entre nous se retrouvaient rapidement avec quelques responsabilités et étaient régulièrement en contact avec le national.
Certains "étudiants" dirigeants de la direction nationale du syndicat étaient prédestinés à de belles carrières politiques, à l'instar du fondateur et guide suprême, JCC. La majo de la majo du syndicat, comme on disait à l'époque, envoyait sur les campus des commissaires politiques. Des types brillants. Des militants avec de solides bases idéologiques. Des gars sympas et cools. Des tombeurs aussi qui ne laissaient pas indifférentes les militantes les plus aguerries ! Des militants dévoués... Bref, ils avaient du prestige ! Plus tard, certains d'entre eux ont grenouillé dans les cabinets ministériels, d'autres dans des officines mutualistes ou pseudo associatives, certains encore au sein d'une fédération socialiste. Un seul de ces commissaires, ancien président du syndicat, devint député, au demeurant le seul qui a su, peut-être en raison de son histoire singulière, défendre ses valeurs, au point de quitter le PS et de ne pas se représenter : respect !
Curieux de nature et surtout fidèle en amitié, j'ai pu suivre le cheminement de ces militants, la plupart inconnus du grand public, grâce à leur blog perso, à Twitter et à Facebook. Hormis ledit député, j'ai pu mesurer combien ces gens pratiquaient naturellement la langue de bois. Mais, peut-être vivent-ils dans un monde parallèle ou sont-ils dotés d'un cerveau qui déforme en partie la réalité ? A leur décharge, ces militants n'ont vécu aucune expérience professionnelle en dehors des milieux syndicaux ou politiques. Le pompon revenant à un apparatchik [1] en charge des questions européennes qui pratique le culte de sa propre personnalité en publiant des articles, style village Potemkine sur l'UE, illustrés de photos où il prend la pose en compagnie de dirigeants européens de la social-démocratie.
Notre militantisme syndical était complété par le militantisme politique au sein du PS. A l'époque, la majo de majo syndicale qui appartenait à l'association politique - le Cercle d'Etudes Contemporaines - défendait une ligne simple : le seul parti de gouvernement à gauche est le PS, donc il faut d'abord prendre le PS pour ensuite mener une vraie politique de gauche.
Le parti, les dirigeants du CEC l'ont enfin pris sous Hollande en se vautrant toute honte bue, scandale DSK compris, dans le plus vulgaire néolibéralisme, toutefois agrémenté de sociétal. Pour être encore plus clair et donner une idée de l'évolution idéologique opérée par les dirigeants du cercle, il faut se rappeler qu'en 1989, JCC prétendait faire barrage à un éventuel Bad Godesberg au PS !
Bref, il fallait donc adhérer au PS pour s'opposer à la politique des Rocard, Cresson et Bérégovoy, mener la bataille interne et recruter à l'extérieur du parti de nouveaux militants... d'où la création du Manifeste contre le Front National . Evidemment, certains d'entre nous furent troublés d'apprendre que JCC était mouillé dans une opération immobilière avec un ancien militant d'extrême droite !
On nous donna alors des explications. Les faits avaient été déformés par une ancienne camarade du PCI, aigrie et revancharde, qui se vengeait en écrivant n'importe quoi dans Libération ! Bref, on avala la couleuvre ! Puis, Juppé tenta d'imposer sa réforme de la sécu et des retraites. Toute la gauche politique et syndicale était dans la rue en 1995, enfin presque ! Quelle ne fut pas ma surprise d'apprendre de la bouche même de dirigeants qu'il fallait être réaliste, selon eux la CFDT avait fondamentalement raison même s'il ne fallait pas le dire puisque nous étions dans l'opposition...
Quelques mois plus tard, vivant désormais à Paris, je retrouvais un couple d'amis et de militants provinciaux. Le mari, ex dirigeant syndical local, avait abandonné la fac après sa 2 ou 3ème licence de maths ratée. Journaliste, une année ou deux, dans une feuille de chou ultra confidentielle créée et dirigée par un de nos anciens commissaires politiques, il vit désormais depuis 20 ans du syndicalisme à la sauce CFDT ou dans diverses officines proches de la confédération. Quant à sa compagne de l'époque, ses études littéraires chaotiques lui permirent d'être attachée parlementaire durant près 20 ans, élue d'une mairie d'arrondissement, et enfin d'accéder à de hautes responsabilités politiques au siège du PS. Ce soir-là, il y avait aussi la meilleure amie du couple, aujourd'hui adjointe de la maire de Paris, ancienne présidente officielle du groupe local du manifeste; militante et mère de famille, ce n'était pas facile de trouver un bon job, sauf peut-être quand tu n'es pas issue d'une famille de prolos et que ton papounet a pantouflé dans quelque cabinet ministériel...
Dans leur appartement bourgeois à quelques encablures du parc de la Butte Chaumont, il ne me fallut pas longtemps pour constater que nous appartenions désormais à deux gauches irréconciliables. Ce fut notre dernière soirée parce chez ces gens-là, soit on fait partie du cercle, soit on n'appartient pas encore au cercle, soit on est définitivement exclu. Hors du cercle politique, point d'amitié, surtout si le dissident, en termes de carrière professionnelle, ne semble présenter aucun intérêt.
Voilà, voilà...
Les derniers articles sur la situation financière du PS, les contrats hors de prix pour louer les services d'entreprises dirigées par des amis de longue date et les salaires mirobolants de certains apparatchiks proches de l'ex majo de la majo ont fait remonter ce passé. Ils ont également fait surgir cette interrogation : comment ces militants ont-ils pu contribué durant près de 20 ans à la dérive idéologique du PS et défendre des idées de droite (la quintessence du hollandisme) avec un vocabulaire de gauche ?
Je ne conteste pas leur sincérité au début de leur vie militante, mais contrairement à d'autres, ils n'ont pas senti que plus on se rapprochait du cercle dirigeant, plus l'air était vicié ! Au contraire, le prestige, les coups de billard à what mille bandes, les petits complots entre amis, les intrigues, les rumeurs, et plus tard la position sociale et le fric qui va avec, ont plus compté que leurs convictions comme s'ils avaient été enivrés. Pour résumer, l'ivresse du pouvoir les a totalement perverti et corrompu. La vie facile aussi, loin de l'insécurité sociale du capitalisme qu'ils ont contribué à libérer...
L'argent me semble accessoire, bien qu'être rémunérés comme des reines ou des rois jusqu'au crash du PS, genre deux à cinq SMIC par tête de pipe, facilite pragmatisme et belle hauuuteurrrrrr de vueee. En l'occurrence, de vanter un temps politique plus long que le commun des mortels, en particulier croire en une UE plus sociale, de relativiser la misère et les injustices sociales, et surtout de croire en l'égalité des chances...
Note
[1] complètement dans les choux