Partager la publication "[Critique] LA TOUR SOMBRE"
Titre original : The Dark Tower
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Nikolaj Arcel
Distribution : Idris Elba, Matthew McConaughey, Tom Taylor, Claudia Kim, Abbey Lee, Katheryn Winnick, Dennis Haysbert, Jackie Earle Haley…
Genre : Science-Fiction/Fantastique/Aventure/Adaptation
Date de sortie : 8 août 2017
Le Pitch :
La Tour Sombre trône au centre de tous les univers, assurant l’équilibre et empêchant les forces du mal de faire régner le chaos. Roland Deschain est le dernier pistolero. Un être solitaire dont la destiné consiste à protéger la tour de l’Homme en noir et de ses sbires. Deux personnages qui vont faire irruption dans l’existence de Jake Chambers, un adolescent assailli de visions, lui-même crucial dans le devenir de la tour…
La Critique de La Tour Sombre :
La genèse de cette adaptation du pavé en plusieurs volumes de Stephen King fut des plus chaotiques. Longtemps fantasmée par les uns et par les autres, elle passa entre de multiples mains, de Ron Howard à Ben Affleck, avant de tomber en désuétude pendant plusieurs années. Puis il en fut à nouveau question et c’est finalement Nikolaj Arcel, le réalisateur de Royal Affair, qui fut choisi pour s’y atteler. Pourquoi de telles difficultés pour parvenir à concrétiser le projet ? Tout simplement car on parle ici d’une histoire qui sur le papier, tient sur plusieurs milliers de page. Une œuvre tellement dense qu’il est normal que beaucoup aient reculé devant l’ampleur de la tâche. Comment rendre justice à ce récit tentaculaire ? Comment ne rien oublier de crucial et réussir au final à en transposer la force évocatrice au cinéma ? Car à l’instar de l’édifice qui est en son centre constitue le milieu de l’univers, le roman la saga La Tour Sombre est la pierre angulaire de toute la mythologie créée par Stephen King. En son sein se croisent et s’entrecroisent des personnages et des concepts que l’on retrouve dans d’autres livres comme Cœurs perdus en Atlantide, Ça, Le Fléau ou encore Shining et sa suite, Doctor Sleep. La Tour Sombre est au milieu. Elle est l’histoire la plus ambitieuse de l’écrivain mais aussi la plus personnelle et sans aucun doute la plus maîtrisée et la plus puissante. Elle sert de liant mais aussi de base. Elle étend ses ramifications partout, que ce soit de façon directe ou d’une manière plus subtile, presque insoupçonnable. S’attaquer à son adaptation au cinéma avait alors en effet de quoi faire peur. Mais c’est bien connu : quand les pontes d’Hollywood ont quelque chose en tête, ils ne l’ont pas ailleurs et un plan a émergé. Un plan permettant à terme de tout englober et de proposer aux fans comme aux néophytes quelque chose d’aussi consistant. Un film, celui dont il question aujourd’hui, puis des suites et une série TV avec en leur centre toujours les deux mêmes acteurs, à savoir Idris Elba dans le rôle du Pistolero et Matthew McConaughey dans celui de l’Homme en noir. Sony n’a pas choisi la facilité et les craintes étaient grandes. Surtout quand nous nous sommes aperçu que le premier film ne durait même pas 1h40. Comment espérer ne serait-ce qu’effleurer le sujet en moins de 2h ? Puis il y eut cette promo un peu boiteuse, démontrant clairement que personne n’avait l’air de savoir comment vendre le long-métrage. S’adresser aux fans des bouquins ou aux autres ? Le choix ne fut jamais franc du collier et à l’arrivée, avant même de sortir en salle, La Tour Sombre a commencé à soulever de sérieux doutes quant à sa légitimé et surtout à sa capacité à remplir à bien sa mission.
Au beau milieu d’une année riche en adaptations de King, prouvant que l’écrivain n’a jamais cessé de fasciner, entre la future série de J.J. Abrams, Castle Rock, la nouvelle mouture de Ça, le reboot télévisuel de The Mist et la série Mr. Mercedes. La Tour Sombre, quant à lui, au milieu de tout cela et malgré son importance, passe un peu inaperçu. Alors qu’en est-il au final ?
Tour de chauffe
La Tour Sombre s’est pris de vilaines mandales par la critique américaine. Est-ce justifié ? Il s’agit bien sûr d’un avis personnel, mais non, ce n’est pas justifié. Est-ce pour autant un bon film ? C’est compliqué. C’est difficile à définir mais une chose est néanmoins sûre : Nikolaj Arcel a enfanté d’un film malade. Une œuvre pétrie de bonnes intentions, qui se casse souvent la figure mais qui se relève, maladroite au possible mais bienveillante envers son illustre modèle.
Stephen King a lui même affirmé de pas avoir reconnu son bouquin quand il a vu le film, s’assurant néanmoins de louer ses qualités. Les fans du livre en question (enfin, des livres) auront la même réaction, si ce n’est que certains n’hésiteront probablement pas à violemment fustiger Sony, Arcel ou qui que ce soit d’autre qu’ils jugeront responsable du naufrage. Le mot « trahison » sera peut-être aussi utilisé pour qualifier la nature du long-métrage. Le pire étant que La Tour Sombre, d’une certaine façon, mérite tout cela.
Nikolaj Arcel ne s’était jamais retrouvé aux commandes d’un truc aussi énorme, suscitant de telles attentes et autres espérances plus ou moins raisonnables. En pleine promo, le réalisateur a même laissé transparaître des doutes et affirmé assez étrangement que son film n’était qu’une introduction à quelque chose de plus grand. Ce qu’il est en effet. Surtout quand on a lu et apprécié le roman. Et d’ailleurs, autant le souligner tout de suite, il y a deux façons de prendre le film. Soit on a effectivement lu les livres et on va donc les rechercher dans le spectacle à l’écran, soit on n’est pas du tout familier de l’œuvre de King et on va chercher à comprendre où tout cela va bien pouvoir nous mener. C’est peut-être d’ailleurs ici qu’est le plus gros échec de La Tour Sombre : jamais il ne choisit entre s’adresser aux fans ou aux autres et jamais il ne parvient à se défaire d’une attitude trop timorée, le cul entre deux chaises, forcé d’avoir recours à des mécanismes rassurants et autres clins d’œil pas vraiment convaincants. Comme quand, en l’espace de quelques minutes, on nous montre l’Overlook de Shining, la voiture de Christine et le nom du clown de Ça. On sent que derrière, les mecs ont voulu affirmer au public que leur film était au centre de toutes les autres histoires de King, comme l’est le livre. Mais malheureusement, tout cela est beaucoup trop complexe et travaillé à la base pour pouvoir se résumer à quelques easter eggs, aussi amusants soient-ils. Du coup, ces clins d’œil renforcent la caractère boiteux de l’entreprise et contribuent à faire de La Tour Sombre un étrange objet un peu indécis, qui s’apparente en effet à une luxueuse introduction, mais qui demeure à l’arrivée une aventure vite torchée, avec bienveillance certes, mais aussi une fâcheuse tendance à faire les mauvais choix et à foirer ce qui ne devait surtout pas l’être.
Difficile de présumer de la réaction des non-initiés quand on a soi-même vibré au rythme des tomes de la saga de King, mais il est probable que cet imbroglio fantastique ne déclenche pas un enthousiasme démesuré. L’écriture est trop brouillonne. On cherche à caser trop de choses en trop peu de temps, dans un trop petit espace et à la fin, on s’aperçoit que le script ne fait que survoler ses thématiques comme ses personnages. C’est dommage, mais malheureusement, c’était aussi un peu prévisible, et les craintes que le projet a rapidement soulevé de trouver pour la plupart une résonance dans le produit fini.
Tour de magie ?
Mais La Tour Sombre ne mérite pas non plus un acharnement comme celui dont il fait l’objet depuis sa sortie outre-Atlantique. Seuls les scores au box-office permettront le bon déroulement du plan à long terme de Sony et nous permettront in fine de replacer ce premier film dans un ensemble plus vaste. Pour le moment néanmoins, nous n’avons pas d’autre choix que de le considérer en tant qu’œuvre solitaire et ne voir là qu’une tentative louable mais extrêmement bancale. Pour autant, il faut aussi lui reconnaître ses qualités. Les acteurs par exemple, sont excellents et tant pis si leurs partitions traduisent un peu tout ce qui cloche dans le long-métrage, notamment au niveau de l’écriture, décidément pas à la auteur de la verve de King. Idris Elba fait un Pistolero de grande classe. Il a tout ce qu’avait son homologue de papier, à l’époque imaginé à partir de la figure mythique du cow-boy popularisée par Clint Eastwood. En face, Matthew McConaughey est un peu trop dans l’économie mais il fait le job. Son rôle étant celui qui pêche le plus par un manque de prise de risque et par une mauvaise compréhension des enjeux qui lui sont rattachés et de la place qu’il tient au sein de l’histoire. Tom Taylor lui, est parfait, tout simplement, mais un peu perdu lui aussi. Trois acteurs pour trois personnages un peu sabordés…
Pour tout ce qui du grand spectacle qu’il est censé offrir, La Tour Sombre fait montre d’une certaine bravoure même si certains effets souffrent d’une mauvaise luminosité et que la réalisation trahit le manque d’expérience en la matière de Nikolaj Arcel. Les affrontements surtout, sont soit trop brouillons et donc pas super lisibles, soit trop vite balancés, histoire de remplir les quotas. En tant que blockbuster estival, La Tour Sombre se devait de régaler les amateurs et jamais les producteurs n’ont perdu de vue cet aspect-là, quitte à trop en faire à certains endroits et pas assez à d’autres.
Alors oui, c’est compliqué. Suffisamment pour faire débat et suffisamment aussi, et c’est assez étrange, pour conférer à La Tour Sombre un caractère atypique. Comme quand le film choisit de se terminer aussi brutalement que redouté, fermant autant de portes qu’il en a ouvert 1h30 durant. Où tout ceci va-t-il se terminer ? Pas dans le mur on l’espère mais ce serait mentir que de ne pas l’envisager quand même…
En Bref…
Grand film malade, La Tour Sombre a pour lui sa bonne volonté et son caractère attachant. Notamment grâce aux acteurs et à cette capacité à retomber suffisamment de fois sur ses pattes pour ne jamais totalement se vautrer. Mais un tel constat demande néanmoins une certaine indulgence quand on a adoré et dévoré les romans. Car La Tour Sombre n’est pas une bonne adaptation. Il manque trop de choses et les partis-pris, qui s’éloignent parfois beaucoup trop du matériau d’origine sans bonne raison particulière, n’arrangent rien à l’affaire. Le cul entre deux chaises, voire trois ou quatre, le long-métrage avance bille en tête mais ne renoue jamais avec la grandeur de son modèle. Il évite l’ennui de justesse mais reste très court et ne passionne pas vraiment. Reste à voir de quel bois sera faite la suite, si suite il y a, et si cette dernière nous permettra de réévaluer le film…
@ Gilles Rolland