Pour une introduction, voir nos articles précédents sur la cantatrice:
La réception de Joséphine Schefsky en France
Nous reproduisons ici quelques articles publiés dans la presse française et chez les premiers biographes du Roi Louis II de Bavière peu après le décès de Joséphine Schefsky en novembre 1912. On remarquera l'intérêt porté par les journalistes et les écrivains pour l'incident qui se déroula sur le lac du jardin d'hiver à la Résidence de Munich (7). Les récits ne citent jamais leurs sources mais s'inspirent très certainement de la presse bavaroise, et déforment le propos sur un incident dont on ne connaît pas les témoins directs.
Nécrologie du Ménestrel du 16 novembre 1912
Une cantatrice dé valeur, Joséphine Schefsky, est morte à Munich, le 10 novembre dernier. Elle avait débuté dans cette ville à l'Opéra de la Cour en 1868; elle y resta jusqu'en 1879; obligée de partir parce qu'elle déplaisait au roi Louis II, elle chanta successivement à Karlsruhe, à Nuremberg et dans beaucoup d'autres villes. Depuis longtemps déjà, elle avait abandonné le théâtre. Ses principaux- rôles ont été ceux de contralto (1) dans Orphée, Aida, Lohengrin, le Prophète, etc.
Nécrologie du Ménestrel du 23 novembre 1912 (p.8)
A Munich, .comme nous l'avons annoncé dans notre dernier.numéro, vient de mourir dans un complet oubli, une femme dont les débuts sur la scène avaient été des plus brillants. Mlle Schefsky était cantatrice au théâtre de la cour au temps de sa splendeur sous le roi Louis II (1871-1879). Le souverain s'était spécialement intéressé à la jeune et jolie artiste qui possédait une superbe voix de contralto; il paya son éducation artistique, puis il la fit engager au théâtre de la cour. On jasa beaucoup à Munich des amours du roi avec la belle actrice. Cette liaison devait avoir une fin brutale. Mlle Schefsky imagina un jour une manifestation qui devait révéler publiquement les sentiments du roi'.à son endroit. Engagée pour chanter dans le jardin d'hiver en présence du roi et de sa cour, elle! prit place dans une nacelle qui devait surgir à un moment donné de la verdure formée par des plantés exotiques au centre d'un bassin. C'est ce moment qu'elle choisit pour sa manifestation. Elle fit chavirer la nacelle et attendit le moment où le souverain ému manifesterait ses sentiments par des gestes tragiques. Mais le roi avait éventé le piège. Se tournant vers la cour, il dit : " Envoyez donc un domestique pour retirer cette personne de l'eau. Je n'aurais pas cru qu'une si bonne artiste sur la scène pût être une si piteuse comédienne dans la vie ". C'était l'ultime disgrâce. Le roi ne voulut plus la voir et son contrat fut résilié. Mlle Schefsky chanta encore a Vienne et à Berlin, mais sa carrière artistique se termina peu après et 1 ancienne amie du roi vécut dès lors dans une retraite profonde à laquelle la mort a maintenant mis un terme
Nécrologie de La Lanterne du 21 décembre 1912 (p.1)
Mlle Schefsky, la célèbre actrice bavaroise qu'on vient d'enterrer, voulut poser à son royal ami, Louis II, la question suivante : " Que préfèrerais-tu ? Un rhume de cerveau ou ma mort? "
Au cours d'une soirée donnée au jardin d'hiver du palais, elle devait surgir dans une nacelle, d'un massif planté au milieu d'un bassin, Pour éprouver l'amour de Louis II, elle fit brusquement chavirer l'esquif, pensant que le monarque, pour la sauver, n'hésiterait pas à transgresser le protocole et à se précipiter à l'eau.
Mais Louis Il ne bougea pas. " Cette femme nage aussi mal qu'elle chante ! " se contenta-t-il d'observer. Et, comme on la repêchait, il quitta le concert et ne la revit jamais.
Mlle Schefsky, qu'une malencontreuse coquetterie avait si mal inspirée, est morte oubliée et pauvre. Toute sa fortune était restée dans le bassin du jardin d'hiver.
Nécrologie de Comoedia du 21 novembre 1912 (p.1)
On annonce la mort, à Munich de Mlle Schefsky, qui fut une des interprètes préférées de Wagner. Le compositeur l'avait présentée au roi Louis de Bavière qui la faisait souvent chanter dans la salle de concert où il était l'unique auditeur. A ce propos, on raconte que Mlle Schefsky désirait être appréciée par le jeune souverain sur un autre terrain que celui de l'art; un jour qu'elle se trouvait dans le parc royal, elle monta, dans un canot qui se balançait sur une pièce d'eau. Arrivée au milieu du lac, elle fit volontairement chavirer sa barque afin d'obliger le roi, qui était très chevaleresque, à opérer un romanesque sauvetage. Mais Louis Il appela un domestique et lui ordonna de tirer de l'eau la cantatrice mortifiée. De ce jour elle ne fut plus convoquée au palais. Elle s'en consola en constatant que le roi n'était pas dernier bateau.(2)
Article du Temps du 19 novembre 1911 (p.5)
A Munich vient de mourir dans un complet oubli une femme dont les débuts sur la scène avaient été des plus brillants.
Mlle Schefsky était cantatrice au théâtre de la cour au temps de sa splendeur sous le roi Louis II (1871-1879). Le souverain s'était spécialement intéressé à la jeune et jolie artiste (3) qui possédait une superbe voix de contralto (1); il paya son éducation artistique puis il la fit engager au théâtre de la cour. On jasa beaucoup à Munich des amours du roi avec la belle actrice. Cette liaison devait avoir une fin brutale. Mlle Schefsky imagina un jour une manifestation qui devait révéler publiquement les sentiments du roi à son endroit. Engagée pour chanter dans le jardin d'hiver en présence du roi et de sa cour (4), elle prit place dans une nacelle qui devait surgir à un moment donné de la verdure formée par des plantes exotiques au centre d'un bassin. C'est ce moment qu'elle choisit pour sa manifestation. Elle fit chavirer la nacelle et attendit le moment où le souverain ému manifesterait ses sentiments par des gestes tragiques. Mais le roi avait éventé le piège. Se tournant vers la cour il dit " Envoyez donc un domestique pour retirer cette personne de l'eau. Je n'aurais pas cru qu'une si bonne artiste sur la scène pût être une si piteuse comédienne dans la vie. " C'était l'ultime disgrâce. Le roi ne voulut plus la voir et son contrat fut résilié. (5) Mlle Schefsky chanta encore à Vienne et à Berlin, mais sa carrière artistique se termina peu après, et l'ancienne amie du roi vécut dès lors dans une retraite profonde à laquelle la mort a maintenant mis un terme.
Article de la Revue britannique (Paris, 1878 pp. 238 et 239)
[...] Les représentations pour le roi seul ont recommencé avec une certaine régularité. Le mélomane qui porte la couronne de Bavière entre dans sa loge à sept heures sonnantes. Il est vêtu de noir : personne ne l'accompagne et la salle splendidement éclairée doit être absolument vide (4). A la fin de chaque acte, quand le rideau est tombé, l'unique et royal auditeur se retire. Le rideau ne se relève que lorsqu'il rentre dans sa loge. Mlle Schefsky est la chanteuse qu'il préfère. Quand le roi se trouve à Munich elle est souvent mandée au palais. Un domestique silencieux l'introduit sur la pointe du pied, dans une chambre où elle se trouve seule, et où elle doit chanter sans aucun auditeur apparent. Derrière une tapisserie qui forme portière et donne accès dans un autre appartement se trouve le roi, invisible et muet. Il entend la chanteuse, mais elle ne le voit pas. La plupart du temps ce sont des morceaux de Wagner, parfois une mélodie de Loeme ou de Schubert qu'elle doit exécuter et qui lui ont été désignés à l'avance. Une seule fois le roi s'est montré à l'artiste qui, paraît-il, lui avait fait plus de plaisir que d'habitude et l'a complimentée. On avouera que c'est là de l'originalité qui confine à la manie.
Article dans la publication bi-mensuelle illustrée Femina du 15 décembre 1912S1ÉGLINDE [sic] A L'EAU
MME Schefsky vient de mourir ; elle fut à Bayreuth la créatrice de Siéglinde dans la Tétralogie de Wagner . Ce fut Louis II de Bavière qui la découvrit et s'intéressa à sa carrière; elle sortait souvent avec le roi et l'accompagnait dans ses promenades en barque: un jour, elle tomba à l'eau, volontairement sans doute; que se passa-t-il? Personne n'en sut jamais rien, mais on ne peut oublier que Louis II mourut noyé quelques années après au même endroit, à la même heure. (6)
2. Dans les premières biographies de Louis II de Bavière
Extrait de Louis II de Bavière, ou Hamlet-Roi, par Guy de Pourtalès. pp. 187 et 188 de la 10e édition, Gallimard (Paris), 1928.
[...]Louis fait un nouvel essai avec la cantatrice Joséphine Schefsky , dont la voix est un pur ravissement. La voix seule, car , pour le reste, cette forte personne ressemble à une servante de brasserie . Mais une voix si convaincante atteint presque aux régions de l' idéal. Le roi la fait chanter chez lui , derrière un écran de plantes vertes. Un jour , Joséphine apporte à Louis pour sa fête un beau tapis d ' Orient, et, selon l' usage, accepte que la cassette royale lui en rembourse le prix. Mais cette maladroite croit pouvoir profiter des circonstances pour surcharger la note. La ruse est éventée ; Louis entre dans une colère terrible et le pauvre rossignol ne perd pas seulement pour toujours son écouteur magnifique , mais jusqu' à son plumage officiel : elle est chassée du Théâtre de la Cour. (5)[...]
Extrait de L'Allemagne romantique et réaliste ; Louis II de Bavière ; Bismarck et la France ; Petit musée germanique (Édition définitive) par Jacques Bainville, A. Fayard et Cie (Paris),1927, pp. 136 et 137, qui rapporte le récit de Ferdinand Bac*.
[...] Louis II, libertin, n'eût rencontré que de rares résistances. Sa froideur intrigua les femmes et les attira vers lui. Il dut les repousser quelquefois avec rudesse et avec ce souverain mépris dont il avait le secret. Il découragea vite les partis qui entreprenaient de le mettre sous leur influence par l'entremise d'une maîtresse. Et ce furent parfois des scènes tristement comiques où Sa Majesté devait écarter des avances indiscrètes. Qu'on lise plutôt le spirituel récit qu'a fait M. Ferdinand Bac dans un très curieux livre de l'aventure de Mlle Schefsky, chanteuse :
Quelle est l'histoire de cette femme qui voulut se noyer dans le bassin des poissons rouges ? - Cela s'est encore passé à Linderhof dans la grotte d'azur. Là, le roi avait fait creuser une petite pièce d'eau de deux pieds de profondeur, juste ce qu'il fallait pour y faire circuler un magnifique bateau en forme de cygne. Le cygne blanc nageait et, comme Sa Majesté avait beaucoup d'imagination, elle rêvait là dedans en écoutant de la musique, cachée derrière un rideau de fleurs.
Or, un jour, une grande dame cantatrice qu'on appelait la Diva demanda au roi, dont elle se disait littéralement folle, la permission de monter dans le cygne et de lui chanter l'air d'Elsa. Mon maître accepta sans songer à mal et se mit tranquillement près du bord, dans le jardin d'hiver. De là, il pouvait tout voir de loin dans un éclairage bleu qu'il avait fait confectionner par des savants et qui, sensément, devait représenter le Surnaturel. Alors la Diva, qui avait déjà montré auparavant quelques symptômes de sentiments exagérés, -peut-être aussi avait-elle bu trop de Champagne, - se pencha soudain d'un côté au beau milieu d'une tirade, et se laissa tomber dans l'eau en s'écriant : " Sauvez-moi, mon bien-aimé ! "
Nicodème, sans ajouter un mot, s'arrêta. Puis il se mit à ricaner comme un gros malin. Mais Pascal, qui voulut savoir la fin de ce plaisant récit, demanda : " Et alors? "
Alors le roi leva l'index et appela un valet de pied...
Quand celui-ci vint, il lui dit d'une voix très douce qu'on ne lui connaissait pas : " Sortez cette dame, je vous prie, et faites-la sécher. "
* Le Voyage romantique. Chez Louis II, roi de Bavière (Paris, 1910). M. Ferdinand Bac a pu avoir connaissance de nombreuses lettres inédites et a recueilli, de la bouche de personnes autorisées, des anecdotes et des indications également précieuses. Sous un arrangement romanesque, le livre de M. Ferdinand Bac présente plusieurs aspects du caractère de Louis II avec une intuition psychologique aussi juste que pénétrante. [...]