Migrants : les bons et les mauvais

Publié le 07 août 2017 par H16

Pour ceux qui l’auraient un peu oublié, je rappelle que nous avons un gouvernement tout beau, tout neuf, très peu servi, depuis mai dernier. Ce dernier, constitué à la suite de l’élection triomphale d’Emmanuel Macron sous les vivats d’une foule extatique, a été à peine remanié lors de l’élection législative qui aura donné une majorité indiscutable au Président, et le voilà qui vient de sortir de sa léthargie estivale par le truchement de Gérard Collomb.

Oui, je sais qu’il est difficile d’imaginer un truchement en la personne de Collomb, mais pourtant, c’est bien ce dernier qui vient faire fermement acte de présence dans l’actualité estivale en prenant quasiment position dans la crise migratoire qui secoue la France et l’Europe depuis des mois. J’insiste sur le quasiment puisque, comme on va le voir et une fois l’information détaillée, on se rend vite compte que notre homme a émis une série d’avis et d’opinions palpitantes qui ne permettent surtout pas d’avancer sur le sujet.

C’est lors d’un entretien accordé au Journal du Dimanche que notre truchement se sera fendu de quelques phrases décisives sur la question. Revenant sur la situation préoccupante de Calais qui sort de plusieurs années d’atermoiements complexes sur le sort de migrants en attente de pouvoir rejoindre l’Angleterre, constatant qu’il reste encore plusieurs centaines d’entre eux sur le sol français, le ministre de l’Intérieur propose courageusement de ménager la chèvre multiculturelle et le chou expulsif en installant des sanitaires mobiles et en planifiant la construction de deux centres d’accueil. Mais attention : « assez loin de Calais et de Dunkerque » pour éviter les petits débordements festifs sur les autoroutes calaisiennes et aux abords du port qu’on observe actuellement (17 867 petites intrusions ici et là, tout de même).

Essentiellement, pour notre brave Gérard, il s’agit surtout de « concilier efficacité et générosité » dans un discours taillé sur mesure pour des médias studieusement à l’écoute. C’est d’ailleurs d’autant plus facile que c’est d’abord en parole avant d’être en actes, et encore plus lorsqu’on sait que la générosité ne provient pas de sa propre poche. En pratique, cette conciliation sera possible parce que notre « ami » du gouvernement va nous aider en distinguant, parmi les migrants, « les réfugiés de ceux dont la migration obéit à d’autres ressorts, notamment économiques ».

Diable ! Mais que n’y avions nous pas pensé plus tôt ! Et d’un coup, la situation devient plus simple puisqu’immédiatement, une solution pratique et opérationnelle peut être mise en place : d’un côté, les migrants économiques, de l’autre les réfugiés, et voilà, tout le monde sait cocher la bonne case sur l’inévitable Cerfa que l’administration fournit pour ce nouveau problème.

Et ensuite ? Ah heu eh bien parlons à présent des Albanais qui… Comment ça, c’est limite hors sujet ? Heu alors évoquons ces « hot-spots » que le président Macron (un Français, résident sur le sol français) entend créer dans les pays au sud de la Libye (sur lesquels il n’a a priori aucun droit). Vous allez voir que ça va évidemment résoudre le problème français, n’est-ce pas. Et à présent, parlons des incendies de forêt et des restrictions budgétaires pour les collectivités terri… Comment ça, non ?

Ah mais c’est fort embêtant, ça, de rentrer dans les détails. On n’a pas que ça à faire, voyez-vous. Et puis, le principe est très simple. D’un côté, vous avez les bons migrants, ceux qu’on ne refoule pas, qu’on va appeler réfugiés. Et de l’autre, ceux qu’on refoule, peut-être, éventuellement, si on a le temps, les moyens et si vraiment on n’a pas le choix, qu’on va appeler migrants économiques. Les premiers ont coché la case A-6 sur le cerfa, les seconds la case C-23 et puis c’est tout. Zip. Zoup. Emballez, c’est pesé. Revenons aux 300 millions d’euros de dotations qui… Quoi encore ?

Oui. Certes. Tout ce baratin ne résout rien du tout et ne répond absolument pas aux préoccupations des populations locales concernées directement par les afflux massifs de migrants divers et variés (qui ont coché la A-6, la C-23 et une myriade d’autres sur les douzaines de cerfas que l’administration n’a certainement pas manqué de leur fournir, stylo bille compris).

Il faut dire que les critères exposés par notre minustre ne sont pas réellement déterminants : savoir qu’un réfugié pourra être conservé seulement parce qu’il vient d’une zone de guerre, ou qu’un migrant économique devra être expulsé seulement parce qu’il provient d’une zone en difficultés économiques n’apportera probablement aucune résolution au problème essentiel des populations françaises qui entendent, elles, continuer à vivre dans un pays en paix et des zones économiques pas trop bousculées.

En pratique, notre Gérard n’a guère abordé le fond du problème.

Il peut bien prétendre « Dans le Calaisis, j’ai rencontré tout le monde », sans pour autant montrer en avoir retiré quelque chose. Notre homme semble avoir quelque peu palpé la « profonde angoisse » que ces habitants ressentent, mais n’a pas encore compris comment y répondre.

Proposer de trier les migrants est à peu près complètement inopérant puisque cette opération promet de ne pas être plus rapide que l’actuel traitement, déjà bien trop long (y aurait-il trop de cerfas à remplir ?), ce qui pose de gros soucis puisque les arrivants tendent à s’installer en attendant le verdict et que, de surcroît, les expulsions et reconduites à la frontières sont aussi rares que coûteuses et ne garantissent en rien un tarissement des arrivées.

En fait, l’angoisse des habitants du Calaisis ne provient pas de l’apparition spontanée de migrants dans les centres. Elle provient bien plus sûrement de l’apparition spontanée de certains d’entre eux sur les autoroutes, ou dans certains coins interlopes de leurs villes, villages voire maisons, sans aucune assurance de la part des autorités que les exactions constatées seront endiguées.

La question n’est dès lors pas vraiment de savoir si l’on est devant des migrants économiques, des réfugiés de guerre, des joueurs d’ocarina ou des prestidigitateurs/saltimbanques/jongleurs, mais bien de savoir si ces populations se comportent dans le cadre prévu par les lois existantes du pays.

Avant tout, les populations du Calaisis entendent que les lois de la Républiques soient appliquées et respectées, autrement dit que l’Etat assure sa mission régalienne de sécurité. Cette mission n’est plus assurée. Ni au Calaisis, ni ailleurs en France, du reste. La maréchaussée est amplement utilisée pour assurer la petite tranquillité des VIP et autres personnages importants de l’Etat, ainsi que la verbalisation in extenso des dangereux terroristes routiers, mais elle est de plus en plus absente pour tous les cas les plus usant pour la population, depuis les petites incivilités jusqu’aux crimes et délits qui nécessitent un vrai travail de terrain, depuis longtemps déserté.

Je l’ai déjà écrit, mais je pense utile de le réécrire ici : les problèmes migratoires ne seront pas résolus par ces mesures dilatoires périphériques. Et ce qui importe avant tout est un retour rapide et ferme à un vrai état de droit sur le sol français ce qui impose à l’Etat de réinvestir urgemment ses missions régaliennes. On en est loin.

Certaines déclarations du ministre de l’Intérieur, qui entend renforcer la présence des personnels de police sur le terrain, diminuer les tâches administratives et simplifier les procédures pénales, vont cependant dans le bon sens même si cet air de flûtiau n’est pas le premier qu’on nous joue sur ce thème. Du reste, lorsqu’on apprend qu’il entend aussi créer tout plein de postes et filer des tablettes numériques aux policiers, on ne peut s’empêcher de cocher les cases « plus de moyens » et « gadgets à la mode » du Cerfa politique « Bourrage de Mou Sécuritaire B-1124 » sans lequel tout ministre de l’Intérieur met son poste en danger.

Gérard Collomb, pour calmer le jeu à Calais, va donc tenter de filtrer. Il va discriminer, séparer les migrants économiques (dont la définition promet d’être croquignolette) des réfugiés de guerre. On lui souhaite bien du courage devant les levées de boucliers bien-pensants.

Mais tant que les problèmes essentiels de justice et de police ne sont pas traités en France en général et à Calais en particulier, les fameuses enquêtes d’opinion auxquelles se réfère le ministre deviendront de vraies épines dans sa couenne sensible.

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