Thérapie triomphante
Il m’avait reçu en peignoir car il avait eu une urgence dans la nuit à l’hôpital. Tenter de soigner ma modeste folie chez un homme qui me recevait en pyjama m’apparaissait alors comme le signe d’une plus grande folie encore. Le cabinet se trouvait visiblement chez lui : ça me semblait dangereux. Pour lui, pour moi. Qui pouvait le dire ? En tout cas, cette baraque imposante était sombre et la fenêtre de son bureau toujours fermée, sans doute pour des raisons de confidentialité. Rideaux tirés, au petit matin, avec un inconnu en robe de chambre : voilà une situation bien loin d’apporter du repos à mon âme tourmentée. Cette solution de continuité entre lui et moi me mettait instantanément en alerte. Et pour cause : l’homme projetait carrément de m’empoisonner.
« Ce sont des troubles qui se soignent très bien avec un traitement chimique ». Effectivement, il était dangereux. Non, je ne voulais pas du traitement chimique. « Si vous ne voulez pas du traitement chimique… » . Je tremblais, m’attendais à tout. Les électrochocs ? Une cure ? Un exorcisme ? « …il y a la thérapie : mais c’est plus long ». Une ribambelle de diplômes était suspendue sur les murs de son cabinet. Le spécialiste préconisait l’empoisonnement, et n’aurait de cesse de me l’offrir à chaque rendez-vous.
Il répétait aussi ses questionnements sur mes études. « Mais ça va vous servir à quoi ? » Les thérapeutes font-ils exprès de répéter toujours les mêmes questions ? Je pensais que oui, que c’était un stratagème. J’étais certaine que cela ne pouvait être une simple amnésie puisqu’il notait mes réponses. Je l’accusais secrètement d’appliquer sur moi des techniques d’apprentissage liées à la répétition, qu’il allait me reposer la même question jusqu’à ce que je me rende à l’évidence : les études d’histoire ne servaient à rien, l’anthropologie sociale, encore moins. Il allait insister jusqu’à ce que je dise que m’étais engouffrée et que je devais absolument, passer des concours, me marier ou que sais-je encore. J’imagine qu’il voyait là un début de terrain sur lequel discuter, il ne me jugeait peut-être pas, après tout. Pourtant, je percevais la violence de ses questions comme un geste politique, presque comme un acte militant, non comme un modus operandi de psychiatre aguerri. Je l’entendais dire je n’étais pas à ma place, alors qu’il disait sans doute autre chose. Comme je n’avais aucune intention de m’interroger sur l’utilité de mes études, je cessais de me rendre aux rendez-vous. J’allais mieux. La médecine avait triomphé. Comme d’habitude.
Julie Campagne