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Muriel Pénicaud, un « engagement social très fort »

Par Pseudo

(Post paru sur la plateforme des blogs de l'Obs le 3 août 2017, sous la signature de Merlin, autre pseudo de Cactus)

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Les gens sont méchants. Et Muriel Pénicaud s'en plaint, dans tous les micros possibles.

Madame la ministre du Travail « ne se reconnait pas » dans le portrait que la presse trace d’elle, et déplore les attaques qu’elle y subit. Attaques relatives à ses revenus, que des chicaneurs, ou des malveillants, jugent bien rondelets. Et surtout opportunément forcis par quelque habile opération de bonneteau boursier – habile, pour madame Pénicaud s’entend ; moins avantageuse, bien sûr, pour certains « dégraissés » du groupe Danone dont la susdite était alors la directrice générale des ressources humaines (on en reparle plus loin)…

Elle juge tout cela « juste blessant », forcément. Car « depuis une quarantaine d’années » elle n’a fait que vivre « un engagement social très fort », dit-elle. Un engagement social très fort qui cohabitait donc, en même temps (selon cette satanée presse), avec le goût bien réel de cumuler des rémunérations très fortes elles aussi...

Plantons le décor.

Mme Pénicaud, ni énarque ni « grande école », partie pour entreprendre une carrière d'administratrice territoriale – pas de quoi entrevoir des horizons flamboyants –, bifurque précocement vers des lieux plus porteurs en intégrant, à 36 ans, le cabinet de la ministre du Travail de l'époque, Martine Aubry. Les prémices, à l'évidence, de cet « engagement social très fort »...

La vie d'ascète sous lambris dorés ne durera qu'un temps. Muriel Pénicaud, sans doute toujours poussée par son « engagement social très fort », entre chez BSN en 1993 comme directrice des ressources humaines (DRH), puis s'en va porter ce même engagement en 2002 chez Dassault Systèmes, en tant que directrice générale adjointe.

Elle retourne en 2008 chez les rois de la compote, devenus entretemps le groupe Danone, pour y patronner de nouveau les RH. Mais à une autre altitude, évidemment : toujours aussi voyeuse, la presse rapporte par exemple qu'entre 2012 et 2014 Mme Pénicaud en aura retiré plus de 4,7 millions d'euros d’émoluments – ce qui nous fait tout de même plus de 130 000 euros mensuels, soit 113 ou 115 SMIC nets (en se basant sur trois exercices). De quoi stimuler l'engagement social des plus tièdes, même au sein d’une multinationale, convenons-en...

Car, en même temps, Mme Pénicaud aura poursuivi de-ci de-là sa vocation sociale : au groupe Orange dès 2011, comme administratrice ; à la SNCF à partir de 2013, au sein du conseil d'administration puis du conseil de surveillance ; au conseil d'administration d'Aéroports de Paris depuis 2014... – on survole à grands traits, on négligera diverses autres participations. Tout cela, c’est bien naturel, dédommagé au « jeton de présence ». Ce n’est pas le Pérou – les quatre années passées chez Orange, par exemple, ne lui ont guère rapporté plus de 128 000 euros. Mais toutes ces bricoles mises bout à bout…

Heureusement, l'année 2014 lui ouvre d’autres belles perspectives. Installée à la direction générale de l’établissement public Ubifrance, elle a en charge la fusion de cet organisme avec l’Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Cela donnera naissance à Business France, dont elle prend modestement la direction générale.

Là, premiers couacs. Des méchants de la presse rapportent qu’en ce lieu, l’engagement social très fort en aurait pris un petit coup dans l’aile : « on » aurait viré des cadres de qualité sans autre grief que de n’être pas du cercle proche de la nouvelle direction ; certains des remplaçants, bien en cour, auraient vu, eux, leurs rémunérations augmentées dans des proportions fort généreuses (près de 30 % de hausse pour le directeur financier ; 20 % pour le DRH)… La nouvelle directrice générale elle-même aurait arrondi son salaire à quelque 255 000 euros l’année – bien loin donc des revenus du yaourt, mais ce qui représentait tout de même, selon les connaisseurs, le deuxième ou troisième rang national de rémunération pour un directeur d’établissement public… Pas si mal pour une fonctionnaire du corps des administrateurs territoriaux. Mais pourquoi barguigner ? Dans le secteur public aussi, l’engagement a son prix.

Mme Pénicaud, finalement, a l’art subtil de la synthèse. Comme quoi on peut vivre son penchant social tout en sachant « consolider » les fruits de ses multiples engagements professionnels.

Où est donc le lézard ?

Retournons aux pots de yaourt, chez Danone – en l’occurrence au « jackpot » ! Les ergoteurs de la presse soulignent la plus-value exceptionnelle que Mme Pénicaud a réalisée en 2013, soit 1,13 million d’euros, en levant son option sur 55 120 actions du groupe – option attribuée quatre ans plus tôt en guise de rémunération complémentaire.

Le jackpot provient banalement de la différence entre le « prix d’exercice » du titre (prix d’acquisition garanti au titulaire en cas de levée de l’option), établi au cours en vigueur à l’attribution de l’option en 2009 (34,85 euros), et le cours actualisé des 52 220 actions immédiatement revendues par Mme Pénicaud au moment de la levée de l’option en 2013 (58,41 euros). Monopoly boursier réservé aux initiés, sciemment articulé pour enrichir sans risque les cadres dirigeants des grandes entreprises, dans des proportions et en un temps inimaginables au commun des besogneux – de l’argent facile, en somme. Rien à redire donc : du capitalisme financier ordinaire tel qu’on l’aime quand on sait en profiter, qu’on ait l’âme jaurésienne ou pas…  

Ce qui est moins banal en revanche, selon les ergoteurs, c’est qu’un tel bond à la hausse du titre boursier est survenu, cette année 2013, à l’annonce de l’important plan social opéré dans le groupe… sous l’égide de Mme Pénicaud soi-même, la directrice générale des ressources humaines de l’époque !

Aucun observateur ne va jusqu’à avancer que ce plan de « dégraissage » – 900 emplois de cadres et d’administratifs en France et en Europe – aurait pu être intentionnellement organisé par Mme Pénicaud dans le but de réaliser une opération de spéculation boursière aussi juteuse. Mais ils font lourdement remarquer qu’un effet d’aubaine d’une telle ampleur, associé à un plan social, ça fait un peu tache sur le CV de quelqu’un qui, devenue ministre de M. Macron, est censée faire avaler aux Français la refonte du Code du travail, et dont on ne cessait de vanter la « fibre sociale ». Question de posture, d’éthique et de crédibilité…    

Car rien de tout cela n’est illégal, comme s’acharne à le répéter Mme Pénicaud. Et qui insiste : tout a été fait « selon les règles de l’Autorité des marchés financiers (AMF), de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) et des services fiscaux »… Puisqu’on parle de ceux-là – elle tient à nous le faire savoir – elle « a payé 69 % d’impôts dessus »… Certes, on n’est pas chez les Cahuzac ou les Balkany, mais il n’aurait plus manqué qu’elle ne paie pas l’impôt sur ce pactole gagné d’un clic d’ordinateur !…

Quant à la transparence, il ne faudrait pas qu’on vienne la chercher là-dessus : déclaration de revenus, plans de stock-options, « tout était public depuis des années ». Parce que, bien entendu, tout un chacun peut consulter les déclarations de revenus des dirigeants d’entreprises auprès des services fiscaux, ou même s’enquérir de leurs rémunérations directement au service comptable de leur société…

Quoi qu’il en soit, toutes ces méchancetés de la presse, ce ne serait qu’ « une personnalisation blessante du débat, et du voyeurisme ». Ah, cette presse « voyeuse » ! Et cette « transparence », tellement invoquée dès que ladite presse a dévoilé ce qu’on espérait tenir secret ! Transparence qui vaudrait absolution universelle, bien sûr : « Allez en paix, ma fille, vous avez si bien frotté la vitre que son verre en est devenu opaque ! Il n’y aura plus qu’à vous absoudre les yeux fermés »…

L’ « engagement social très fort » de Muriel Pénicaud, et son art de l’accommoder à son goût avéré des prébendes dorées – avec des airs de cul-bénit, comme il convient à ce niveau de dignité –, nous font penser à l’engagement « socialiste » de Richard Ferrand, du temps qu’il n’était pas encore « en marche », et à son art d’accommoder la vertu innée de l’homme de gauche avec les magouillages organisés pour le profit très matériel de sa compagne, dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne…

Peut-être faut-il à ces gens-là le coup de pied au cul d’un Canard enchaîné, et le tintamarre qui s’ensuit, pour retomber sur terre et comprendre l’émoi du citoyen ordinaire – quand ils ne le prennent pas tout simplement pour un con. A partir d’un certain degré, la cupidité brouille immanquablement la lucidité. L’ « épreuve » que vit Mme Pénicaud semble d’ailleurs lui avoir en partie décillé les yeux, puisqu’elle a fini par reconnaître, au micro de France Info, qu’ « il y a un vrai débat de société sur l’écart de rémunération entre les dirigeants d’entreprises et celle de tout le monde. » Et qu’elle « comprend l’émotion ».

Acceptons de la croire – ou faisons semblant – et ne l’accablons pas. Car elle a une autre épreuve à traverser, qui n’est pas éthique celle-là mais plus enquiquinante sur le plan judiciaire : l’accusation de favoritisme au profit d’Havas pour l’organisation du raout macronien de Las Vegas, le 6 janvier 2016, en marge du Consumer Electronics Show. Elle était la directrice générale de Business France, agence maître d’ouvrage de l’opération. Mais ce n’est pas le sujet ici.

(Photo : Muriel Pénicaud, © MaxPPP)


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