Dune

Publié le 05 août 2017 par Alexcessif
« -T’as quel âge maintenant, Mattéo* ?
- 14 ans ! »
A quoi bon s’étendre sur la séquence qui me conduit à crapahuter sur la dune avec Matt vers H : 23.00 si ce n’est l’improvisation qui prime sur l’organisation de ma vie remuante. Nous sommes seuls à deux avec une demi-heure de marche au compteur. Quand j’ai lâché le groupe de marcheur en jouant à courir sur "mon" tas de sable du Pyla je ne me suis pas aperçus que l’ado m’emboitait le pas.
« Donc c’était il y a dix ans que l’on courrait ensemble aux calanques de Méjan ?
- C’est ça !
Je me souviens, ainsi que lui aussi sans aucun doute, de ce gamin en colère. Je me souviens que je le tenais par la main prenant de l’avance sur le groupe composé de ma fille qui venait de lui faire un demi-frère avec son père. On a le droit d’avoir les boules quand on se voit, enfant de l’amour d’avant avec le même papa, deux mamans, dont une inédite, et une moitié de frangin qui sent le neuf lui aussi.
Je me souviens de la boule dans la gorge, que je pensais avoir oublié dans la zone approximative de mes quatre ans, intacte malgré ces cinquante ans de mieux à l’époque et encore intacte aujourd’hui responsable de toutes mes ruptures. La malédiction n’a pas pris une ride.
Cela ne nous a pas empêché de courir de plus belle et de conserve. Il nous restait du sable.
Quatorze années ! Tutti bene, il doit faire ma taille et il a des tifs. Une belle houppe caramel avec une coupe compliquée de djeun’s, le crâne bien dégagé autour des oreilles. J’apprends qu’il est au collège, qu’il passe en troisième, qu’il a la moyenne en anglais et espagnol, qu’il rame en math et français et qu’il touche sa bille sur Instagram.
Puis il s’est souvenu qu’il avait une famille loin à l’arrière. J’ai continué ma fuite. En avant….
Je n’avais jamais que six livres à perdre, un à écrire et soixante trois ans de trop.
Je ne suis pas seul. Marcel* m’a rejoint !
« Mollo, Sergio* j’ai pas encore cinquante ans ! »
J’aime son humour autant que les poumons brulants qui pompent ce vent frais, autant que la brulure des muscles en plein effort, autant que cette bête humaine gorgée d’adrénaline, gratifiée de dopamine bien planquée dans les méandres du cerveau, le, la, carpe diem qu’il faut aller pécher comme on cueille LA rose.
« - Ca va Marcel, tu t’en sors avec Chiarra* ?
La malédiction a frappée à sa porte. Des aller/retour Marseille/Brive, épuisants, mais comme dit Marcel qui bosse sur les ferries de "La Méridionale" c’est dans le grain qu’on voit le marin »
- J’ai Chiarra jusqu’en septembre, je profite. C’est génial ici.
Pas fô : Nous sommes sur la ligne de crête. La mer, le vide, la forêt, la forêt, le vide, la mer. C’est Rolland Garros : le vide c’est le filet et on tord le cou à s’en chopper le torticolis pour ne rater aucun échange entre l’Atlantique et les pins.
On a fait le plus gros mais il reste du sable.
Le ciel est empli d’étoiles, la lune pleine d’enthousiasme. Elle nous allume le paysage lui prêtant jusqu’à l’aurore, mais ce n’est pas sûr, des couleurs fantasmagoriques.
- c’est comme la vie ici : tu crois être arrivé et ça monte encore, philosophe "mon" marin, regarde : même que ça descend ! Et là : ça remonte ! »
Nous sommes dans le creux poplité du genou de la dune soudain concave et le paysage, qu’on vexe sans doute, interromps sa partie de tennis et devient lunaire. Sans repère, avec cette nuit qui écrase les perspectives, on perd la notion des distances. Un désert sélénite où nous courrons sans scaphandre époumonés, heureux, vivants. C’est le Ténéré sans la chaleur, le Sahara sans la solitude, le vent fripon sans le Simoun.
« - Eh oui Marcel, hauts et bas ! La vie est une fête qui se passe dans un ascenseur ! »
Et moi, j’ai l’impression d’avoir écluser de la binouze depuis l’invention de la cervoise
Chais pas s’il aime le cinoche et ma vanne sur Marcelhaut et Chiarra Mastroianni. M’en fous, on est bien Tintin !
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Sans témoins, il était inutile de courir. De toute façons dans l’obscurité, perdu et ensommeillé, je ne retrouve pas la trace en pente douce d’hier et c’est un mur de sable indifférent ou récalcitrant qui me résiste où même Killian Jornet monterait à quatre pattes. Un ciel nuageux a remplacé la nuit étoilée de tout à l’heure. J’avais dû dormir, deux heures après le raid d’hier soir et la veillée Kronenbourg qui s’en suivie, à même le sable avec mon jean et mes bottes, enroulé dans une couverture puisque je n’aime pas le camping et les tentes. Jaillissant des "griffes de la nuit", j’entrepris de compter le nombre de portes qui restaient à claquer sur l’automobile qui venait d’arriver, troublant mon repos et le nombre de stère de bois qu’il restait à scier par les compagnons des ronfleurs réunis au "camping des flots bleus", le troublant tout autant. A la neuvième porte claquée, je me dis que la nuit allait être longue, courte et blanche. Au deuxième stère de bois je me doutais que l’hiver serait rigoureux. Sans hésiter entre prendre la bécane, sans dire au revoir à la famille surtout, pour rentrer en ville en blouson d’été et tee-shirt ou finir ma nuit au sommet du Pyla, je me suis dessapé gardant mes bottes et la couverture que j’endossais sur mes épaules en guise de poncho puis je reparti à l’assaut de la dune vers "les promesses de l’aube".
Au terme de mon ascension pieds nus, me sont apparus soudain, dans d’autres camaïeux plus sombres le dernier mur franchis, les bancs d’Arguin, les passes à gauche, la forêt, le vide, à droite. L’éclat du phare de la pointe était nord-nord-ouest preuve que je m’étais bien donné. Au sommet, j’ai repris le cours de ma nuit sur ma couvrante étendue sur le sable frais balayé par un vent de Noroit- je suppose sans savoir juste parce que j’aime bien écrire : Noroit, çà a de la gueule- en pensant à Freddy Kruger et surtout relisant mentalement un peu de Romain Gary ("Les griffes de la nuit", Freddy et "Les promesses de l’aube"de Romain qui les tient, lui ses promesses. Suivez, merde !).
Une mouette m’a éveillé. Superbe ! Ailes blanche, bec jaune, queue dégradée de gris souris vers le noir Soulages (Pierre). Endormi magnifiquement la planète dans le dos, la face vers le ciel, à poils, je repris conscience pitoyablement recroquevillé en chien de fusil-qui n’a pas tiré son coup- comme un clodo traquant le moindre filet d’air glacé. J’avais remis mes bottes et raté le levé de sa majesté. Le ciel aussi chichement couvert que moi laissait cependant rougeoyer quelques rayons. La mer était belle. Le phare de la pointe éteint, les passes au loin écumaient d’un peu de blancheur entre la houle et les vagues brisées. Un bateau labourait le bassin et j’aperçus dans la flèche de son sillon, il me semble, un bivouac sur le banc d’Arguin sud. La mouette cherchait de la bouffe.
Elle en avait trouvée.
Surnaturellement sans peur, elle entamait ma couvrante, l’effroi était de mon coté. Me levant brutalement je vis une bonne centaine de ses copines formant la troupe serrée d’une armée fantastique. Et affamée !
Lorsqu’un bec lacéra ma jambe, je protégeais mes yeux. Le sang jaillit encourageant ces piranhas volants. Aveuglé, terrorisé et meurtri, j’entendis les sternes s’esclaffer comme des spectatrices ailées à la projection du film d’Hitchcock. T’as l’ bonjour d’Alfred me dis-je ! Retrouvant un peu d’instinct de conservation au fond à droite dans le couloir de l’estime de soi, je saisis, à l’aveuglette de ma main restée libre, les pattes d’une rieuse et m’en servis comme d’un fléau agricole, battant l’air aléatoirement avec des moulinets tragiques pour ces oiseaux de cinéma.
Je me réveillai de ce cauchemar.
La mouette était bel-le et bien là. La mer était encore plus belle. Le phare de la pointe éteint, les passes au loin écumaient d’un peu de blancheur entre la houle et les vagues brisées. Un bateau labourait le bassin et j’aperçus dans la flèche de son sillon, c’est certain, un bivouac sur le banc d’Arguin sud.
Il me restait une dernière éminence au nord que je n’avais pas gravis puisque je ne l’avais vu. Je m’en acquittais prestement histoire de finir le taf puis descendis par le même chemin de crête dans un jour inédit vers d’autres aventures plus ordinaires. La famille, mes fringues, ma moto, un café solo m’attendaient en bas.
*Les prénoms ont été ….toute ressemblance… Rupture(s) Le Pyla Aout 2017