Naissance de la Bible grecque, Paris, 2017, Les Belles Lettres, 287 p. Bibliogr., Index. Textes introduits, traduits et annotés par Laurence Vianès,
L'ouvrage rassemble plusieurs textes à propos de l'histoire de la Septante : du Pseudo Aristée, la Lettre d'Aristée à Philocrate, du Traité des poids et mesures de Epiphane de Salamine, ainsi que de divers témoignages antiques et médiévaux (traduits de documents arabes, grecs, hébreux, latins, syriaques).
Les textes réunis par Laurence Vianès sont partie prenante de la légende de la Septante (ou plus exactement du Pentateuque grec).
La Septante ( Septuagint, Ἡ μετάφρασις τῶν Ἑβδομήκοντα ou LXX) constitue un événement historique dans l'édition. Trois siècles avant Jésus, la traduction collective (ou plutôt "la mise par écrit") de la Bible (le Pentateuque) est effectuée de l'hébreu en grec à Alexandrie par 70 (ou 72) érudits juifs. Il s'agit d'une demande du roi d'Egypte, Ptolémée II. Le texte de la Torah ainsi obtenu doit enrichir la bibliothèque royale d'Alexandrie.
La Septante sera utilisée par les Juifs hellénophones et deviendra une référence pour les Chrétiens. Elle fera l'objet de nombreuses reprises dont l'une par Origène dans les Hexapla, édition juxtaposant sur six colonnes les textes hébreux et grecs, dont une colonne pour la Septante.
Au-delà du travail philologique et historique, la Septante invite à une réflexion philosophique en suivant Emmanuel Lévinas. A plusieurs reprises, dans son œuvre, il a rappelé le rôle de la langue grecque et de la philosophie grecque pour énoncer le judaïsme : "Nous avons la grande tâche d'énoncer en grec les principes que la Grèce ignorait". Il avait déjà admis : "Il n'y a rien à faire, la philosophie se parle en grec [...] Mon souci, c'est de traduire le non-hellénisme de la Bible en termes helléniques". D'où l'importance, à ses yeux, de la Septante ("l'œuvre de la Septante n'est pas terminée", dira-t-il à Salomon Malka). "Qu'est-ce que l'Europe ? demande Emmanuel Levinas : "c'est la Bible et les Grecs". La Septante les met en équivalence. Qu'est-ce que penser grec ? Le grec symbolise à ses yeux l'universalité "surmontant les particularismes locaux du pittoresque ou folklorique ou poétique ou religieux"... "Langage sans prévention, parler qui mord sur le réel, mais sans y laisser de traces et capable, pour dire la vérité, d'effacer les traces laissées, dédire, redire". La Septante renvoie donc à l'émergence de la notion d'universalité et à la coordination de deux cultures distinctes et essentielles ("la traduction en grec de la sagesse du Talmud").
Occasion d'évoquer aussi, dans un autre registre mais non sans homologies, la confrontation par François Jullien de la culture grecque et de la culture chinoise pour penser la généalogie de nos catégories de pensée et l'universel.
Références
Emmanuel Lévinas :
- L'au-delà du verset. Lectures et discours talmudiques, Paris, Editions de Minuit, 1982, Chapitre XIV, "Assimilation et culture nouvelle"
- A l'heure des nations, Paris, Editions de Minuit, 1988, Chapitre XIV, "La bible et les grecs"
- Quatre lectures talmudiques, Paris, Editions de Minuit, 1968
Salomon Malka, Lire Lévinas, 1984, Paris, Edition du Cerf, 118 p. Voir l'entretien avec Emmanuel Lévinas en fin de volume.