L'homme qui voyait à travers les visages, d'Éric-Emmanuel Schmitt

Publié le 04 août 2017 par Francisrichard @francisrichard

Au début, je n’ai pas compris. Les gens ne prêtaient aucune attention à certains êtres que je voyais, des personnes parfois de taille standard, le plus souvent de format réduit. En quoi différaient-elles ? Elles surprenaient. A leur convenance, elles apparaissaient, disparaissaient, sans être arrêtées par les murs, les cloisons et les étages.

Le narrateur, Augustin Trolliet, du roman d’Éric-Emmanuel Schmitt est L’homme qui voyait à travers les visages. Ce titre n’est pas tout à fait exact, puisqu’il a plutôt le don d’apercevoir des personnes autour des gens, que les autres ne voient pas, si bien que, de leur part, il ne suscite que de l’indifférence.

Augustin a donc appris à ne pas parler aux autres de ces personnes volatiles. D’abord parce qu’il s’agit à chaque fois de personnes qui s’avèrent mortes, ensuite parce qu’il s’est rendu compte que les gens le boudaient quand il leur en parlait, enfin parce qu’il ne veut décidément pas passer pour un débile.

Augustin, 25 ans, a déjà assez de handicaps comme ça. Il n’a pas de famille. Sa mère est morte à sa naissance. C’est un orphelin solitaire, chétif, ballotté de foyer en foyer, de centre social en famille d’accueil Il a l’air minable, vit dans un squat et effectue un stage non rémunéré dans un journal local.

Un jour, le considérant comme nul, Philibert Pégard, le patron de Demain, le quotidien de Charleroi, l’envoie dans la rue à la pêche aux infos. Or, ce jour-là, il est le témoin d’un attentat-suicide commis, lors d’un enterrement, par un djihadiste, qui auparavant l’a bousculé, escorté par une créature volante…

Projeté à terre par l’explosion, Augustin devient un témoin capital, sollicité par la presse, la police, la justice. Et, du coup, il cherche à savoir pourquoi un tel acte a été commis par Hocine Badawi. C’est l’occasion pour lui, et pour son créateur, de se poser la question du rôle de Dieu dans cette affaire.

La juge d’instruction, Claudine Poitrenot, peu conventionnelle, se prend d’amitié pour Augustin. Elle a tendance à attribuer à Dieu la responsabilité des violences et pose la question : Nous parlons de violences commises au nom de Dieu, mais si elles matérialisaient la violence même de Dieu ?

Ce n’est pas l’avis d’Éric-Emmanuel Schmitt (sic), qu’Augustin, lecteur de tous ses livres, parvient à rencontrer pour le compte de Demain. Pour l’écrivain, il y a un lien entre l’ignorance et la violence : La violence révèle une maladie de la pensée. Attention, une maladie de la pensée, pas une maladie religieuse

Le roman prend dès lors une tournure philosophique, tout en épousant les contours d'un récit rocambolesque. S'y exprime ainsi, à la faveur d'une interview inédite avec Augustin, l'auteur des trois livres saints (le Nouveau Testament, l'Ancien Testament et le Coran), mis en cause par Claudine et relaxé par Éric-Emmanuel...

Dieu ouvre en ces termes le débat sur le libre arbitre, la capacité à délibérer, le pouvoir de choisir: Je ne vous ai soumis que trois livres. Mais vous devez les lire, c'est-à-dire les analyser, les déconstruire, les évaluer, les vivifier par l'attention et le temps que vous leur consacrez. Le livre propose, le lecteur dispose...

Les hommes libres se posent davantage de questions qu'ils n'apportent de réponses. Si la crise spirituelle ne peut se résoudre que spirituellement, c'est bien parce que la violence peut se définir comme pathologie de l'incertitude: le fanatique ne la supporte pas... Le doute n'empêche pourtant pas la foi...

Se savoir libre n'est pas une raison pour croire qu'il n'existe pas de limites. C'est pourquoi le don d'Augustin éclaire une question existentielle que se pose Éric-Emmanuel Schmitt, lui que son interlocuteur voit entouré d'une cohorte de morts tels que Diderot, Molière, Pascal, Milarepa ou Colette

Qui écrit quand j'écris? Qui agit quand j'agis?

Francis Richard

L'homme qui voyait à travers les visages, Éric-Emmanuel Schmitt, 432 pages Albin Michel

Livre précédent chez le même éditeur:

La nuit de feu (2015)