Felwine Sarr : Afrotopia

Par Gangoueus @lareus

De manière assez surprenante, je suis tombé sur ce texte prêt depuis plusieurs mois et que je n'avais pas publié. Je pense que je me suis tellement mis de pression pour tenter une ébauche de présentation de l'essai de Felwine Sarr que j'ai oublié de le publier. Bref, une invitation à lire ce magnifique essai...
Il est toujours plus compliqué de faire la chronique d’un recueil de poésie ou d’un essai. Dans le premier cas, il faut un cadre spécifique de lecture, une atmosphère pour sentir le cri de l’autre, du poète. Il faut s’extraire d’un certain rythme, prendre le temps d’entendre le texte. Le rythme que nous impose la vie parisienne en semaine n’autorise pas toujours cela. Il faut surtout comprendre le contexte dans lequel le poète écrit. Dans le second cas, une bonne critique voudrait que les assertions de l’auteur soient correctement analysées, elle impose d’avoir une connaissance certaine des références proposées par l’essayiste. Ce qui revient à un travail plutôt technique si on veut, un temps soit peu, être crédible. Il faut dans ces deux scénarii, du temps.
Bon, tout cela pour introduire ma chronique sur Afrotopia qui se voudra un ressenti, une présentation du discours de Felwine Sarr. J’ai envie de vous parler du personnage, avant de parler de l’essai. Brillant, vif, l’homme à l’humilité de ces personnes qui reposent sur un puits de savoir et surtout qui paraissent très en équilibre avec elles-mêmes. L’homme pense vite, bien et il faut arriver à le suivre dans ses développements. Il est surtout cohérent avec ce qu’il énonce dans son ouvrage, très sûr de la pertinence de son discours. Aussi cela à donner lieu à des prises de positions vives lors de certaines tables rondes au Salon Africain du livre de Genève, avec Joseph Mwantuali et Khadi Hane par exemple.
Dès le début de son essai, Felwine Sarr propose de penser l’Afrique autrement. Il dit en substance : « Cependant, plus que d’un déficit d’image, c’est de celui d’une pensée et d’une production de ses propres métaphores du futur que souffre le continent africain »[1]. Cette sentence écrite dans le premier chapitre pose un cadre intéressant au lecteur. Tout d’abord, il est essentiel dans la lecture de cet essai de voir que Felwine Sarr pense l’Afrique comme un tout. Il ne raisonne pas à partir du Sénégal qui serait pourtant un poste d’observation légitime et concret. Il construit un discours qu’il veut cohérent sur une Afrique capable de nommer ses propres maux et possibilités. Tout au long de l’ouvrage on notera d’ailleurs que le champ des références s’appuie avant tout sur de plusieurs penseurs africains touchant les différents domaines qu’il traitera dans cet ouvrage. A savoir l’économie, la sociologie, la culture, la philosophie, la littérature. Il bâtit son travail sur la volonté manifeste de valoriser les discours africains qui participent à la construction de cette utopie africaine. Mais il est intéressant qu’il parte dans cette phase de son essai du constat d’un déficit d’images et par extension de contenus propres. Il y a dans cette entrée en matière, le désir de développer une pensée, une manière d’appréhender les problématiques avec une approche du modèle dominant occidental. « Penser le large, c’est concevoir la vie, le vivable, le viable, autrement que sous le modèle de la quantité et de l’avidité »[2]. L’odeur du père est prégnante. Comment s’en défaire?
«  Pour être féconde, une pensée du continent porte en elle l’exigence d’une absolue souveraineté intellectuelle »[3]. Toujours dans le cadre que propose Felwine Sarr, aucune pensée engagée ne saurait imprégnée les esprits en se reposant sur un mimétisme et la reproduction de codes, structures vus ailleurs, venus d’ailleurs. Mais, il est essentiel de ne pas défigurer son propos. Il n’y a pas de rejet d’éventuels apports extérieurs pour une construction de ce continent Africain mais la volonté, le désir, la capacité de ne pas choisir les modèles et solutions toutes faites. Il y a là une interpellation des nouvelles élites africaines à ne pas reproduire de manière des schémas répétés d’une incapacité à produire un discours propre, original sur une problématique s'appuyant sur une relecture de l'histoire africaine, des innovations dont recèlent les cultures et traditions africaines. Les termes sont forts passionnants. Ils vont conduire les développements de l’intellectuel sénégalais sur l’économie, la culture, la philosophie avec un questionnement des épistémès occidentaux.
Il est difficile de poser tous les axes proposés sans les questionner et les commenter. Mais prenons pour exemple la critique faite des universités africaines qui parachèvent, sans une remise en cause fondamentale de leurs héritages, l’injonction à suivre le modèle laissé par l’ancien dominant. Ici, la bibliothèque coloniale (Mudimbé désigne ainsi le corpus comprenant l’ensemble des discours en sciences sociales dont la finalité est d’entretenir l’influence et la perpétuation de l’anthropologie et l’ethnologie coloniales) est abordée avec beaucoup d’entrain en reprenant les grands intellectuels africains qui la remettent en cause. Le congolais Valentin Mudimbé. Le kenyan Ngugi Wa Thiongo. Le ghanéen Kwasi Wiredu. Reprenant des ouvrages majeurs de ces auteurs, il s’arrête sur la métaphore sonore de l’odeur du père pour souligner combien l’œuvre de remise en cause, de déconstruction et création de nouveaux paradigmes est complexe mais ô combien salutaire si une réelle prise de consciente est faite par les élites…

Dans le chapitre « Guérir, se nommer », il aborde cette reconstruction du point de vue de la psychanalyse. « Comment guérir son moi douloureux et épanouir son élan vital ? Comment s’affranchir de la haine de soi et rebâtir l’estime de soi. Quels sont les lieux de la cure ?»[4] . Il est intéressant de voir que Felwine Sarr dans ces « lieux de la cure » en citant Achille Mbembé, insiste sur ce travail minutieux qui convoque de nombreuses questions et empêche la politique de l'autruche. Quels sont les lieux de la cure?
Il serait plus sage pour moi d’aborder le chapitre Afrotopos puisqu’il est l’analyse de l’essayiste sénégalais sur l’apport que la littérature peut apporter à la capacité de nommer. Je trouve que d'ailleurs que son analyse est très optimiste. Les écrivains participent-ils autant à renommer les maux qui minent leur environnement ? Proposent-ils une contextualisation des phénomènes qui étreignent le continent ou cette littérature africaine s'inscrit-elle dans un constat passif et soumis face à des tares récurrentes quelque soit l'esthétique proposée? Si les premières œuvres ont participé à ce questionnement intrinsèque avec des auteurs comme Cheikh Hamidou Kane, Chinua Achebe, Ahmadou Kourouma ou Mongo Beti, qu'en est-il aujourd'hui? Revisiter l'histoire, comprendre le passé dans ses atouts, ses horreurs et ses échecs, devrait constituer un enjeu majeure cette littérature pour réellement nommer les choses, le présent et offrir de vrais perspectives d'avenir.

Felwine Sarr, Afrotopia
Editions Philippe Rey, première parution en 2016


[1] Page 12, Afrotopia, Felwine Sarr. Editions Philippe Rey[2] Page 13, Afrotopia, Felwine Sarr. Editions Philippe Rey[3] Page 1<7[4] Page 91Afrotopia, Felwine Sarr. Editions Philippe Rey