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résistance et servitude

Par Jmlire
résistance et servitude

" Adulte, dans la rue, il ne cherchait qu'à produire l'effet d'un individu quelconque, absolument anonyme, pris entre mille autres, dont la mesure et la sobriété, la pudeur et la convenance, ne seraient prises en défaut nulle part. Il évitait toute dispute, toute violence, puisqu'il ignorait ses droits et ne pouvait les défendre. Il réfléchissait d'une manière télégraphique, en supprimant les prépositions. Devant les autres, il ne se taisait que pour sentir le silence le protéger à la façon d'une carapace, comme d'autres ne parlaient que pour sentir sur leur langue l'impatience de leurs propos. Étranger à la beauté des phrases, la discrétion était sa demeure. Et dans cette torpeur, il ignorait les inconvénients de son silence comme le sage ceux de sa sagesse.

Il fit ici et là de petits métiers obscurs, à la fois coursier et manœuvre de chantier, tantôt serveur dans un antre infréquentable, tantôt tanneur dans des entrepôts puants. Il travaillait quand il pouvait, sans âpreté ni avarice, gérant l'argent comme l'eau qu'on boit, seulement quand on a soif. Il évitait les gagne-pain officiels et fuyait les écoles. Du peuple qui l'avait vu naître, il ne portait dans ses veines que la résistance et la servitude.

Ce n'est pas de vivre dans la misère qui rend misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire..."

Miguel Bonnefoy, extrait de " Le voyage d'Octavio" Payot et Rivages, 2015.

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