Sur le panneau de bois de modestes dimensions (25 x 31 cm), la pièce est presque vide. Un petit bonhomme porte une vieille robe de chambre, un large chapeau, de gros souliers. Des pinceaux à la main, il vient de prendre du recul et regarde sa toile posée sur un chevalet ; l’instant est à la méditation ; le châssis que l’on voit semble plus grand que lui. Contre toute attente, ce petit bonhomme, c’est Rembrandt dans son atelier ; il a 23 ans (1629, Museum of Fine Arts, Boston).
A 36 ans, Gustave Courbet, lui, se représente en gloire au centre de son immense toile, L’Atelier du peintre (1854-55, Musée d’Orsay). Les attributs de son art figurent en bonne place dans cette scène de genre (instrument de musique, mannequin, médaillon de plâtre, tableaux, arme, « Vanité », animaux). Une foule de visiteurs assiste à la scène : amis, amateurs du monde de l’art, gueux. Le maître exécute sous leurs yeux un paysage, entouré de deux personnages incongrus, un enfant et un modèle nu – à l’époque, les modèles ne se déshabillaient que pour la pose et ne le restaient jamais en public. Ce diable d’homme transgresse une fois encore les règles.
Un atelier d’artiste révèle beaucoup de la personnalité de celui-ci, autant qu’un portrait, pour qui se donne la peine d’en scruter les détails, de les décrypter en toute indiscrétion ; modestie chez Rembrandt, mégalomanie géniale chez Courbet.
En 1987, Jean-Jacques Fernier, alors conservateur du musée Courbet (Ornans, Doubs), pensant à L’Atelier du peintre, commanda pour une exposition au photographe suisse Vincent Knapp (1957-2007) une série de photographies d’artistes contemporains et de leurs ateliers. Trente ans plus tard (et dix ans après la disparition de Knapp), Frédérique Thomas-Maurin, conservatrice du musée, accueille de nouveau ces photos dans une exposition intitulée Histoires d’ateliers de Courbet à Soulages (jusqu’au 16 octobre), mais en y apportant une importante dimension supplémentaire.
Certes, les clichés en noir et blanc de 1987 sont bien présents, qui font se répondre lieux de création et portraits des créateurs. On y retrouve, entre autres, Ken Tisa, Olivier Debré, Ruth Francken, Michel Seuphor, Pierre Alechinsky, Zao Wou-Ki, César. Mais ils s’accompagnent d’œuvres originales et se complètent d’une nouvelle série inédite, en couleur cette fois, consacrée à de nouveaux artistes, comme Gilbert et George, Jean-Michel Othoniel et Pierre Soulages.
L’association du créateur, de son espace de travail saisi sans intention décorative, mais comme l’aurait pris sur le vif un grand reporter, et de ses œuvres ouvre pour le public des perspectives nouvelles d’observation, de réflexion et d’interprétation. On y trouve des espaces dépouillés et des capharnaüms. On pense à Francis Ponge et son recueil de textes L’Atelier contemporain (1977) qui traduisait en mots ce que Knapp immortalise dans ses prises de vue.
L’exposition propose en outre une grande variété de styles qui permet d’embrasser, en un lieu unique, plusieurs pans de l’art contemporain. L’abstraction d’Olivier Debré ou de Maria Helena Vieira da Silva voisine avec celle, géométrique, d’Aurélie Nemours, les sculptures figuratives composées de matériaux de récupération de César, l’univers bariolé de Pierre Alechinsky, celui, acidulé, de Gilbert et George ou encore les portraits d’écrivains de Ruth Francken.
L’humour n’est pas absent, à travers une photographie retouchée par Nathalie Knapp (veuve de Vincent) qui a malicieusement inclus des détails de L’Atelier de Courbet dans une photo de celui de Zao Wou-Ki. Cette mise en abîme du peintre en action dans un cliché est assez surprenante.
Les nouvelles technologies sont également convoquées, avec une visite virtuelle de L’Atelier du peintre que le Musée d’Orsay avait développée lorsque le tableau était en cours de restauration et qui permet de connaître l’histoire du tableau, de découvrir l’identité des personnages représentés. Une autre application invite à visiter en 3D l’atelier que le peintre utilisait lorsqu’il séjournait à Ornans et qui reste pour le moment fermé au public en attendant sa restauration. Signalons enfin le catalogue (Editions du Sékoya, 126 pages, 19,50 €) qui fait la part belle à des reproductions de qualité et présente une biographie du photographe.
Illustrations : Rembrandt, Peintre dans son atelier, 1629, Museum of Fine Arts, Boston – Gustave Courbet, L’Atelier du peintre (restauré), 1855, Musée d’Orsay, © Musée d’Orsay, Dist. RMN-Grand Palais Patrice Schmidt – L’atelier de Zao Wou-ki, artiste peintre (1920-2003), 1987, © Vincent KNAPP, Peterzel GmbH – L’atelier de Zao Wou-ki, artiste peintre (1920-2013), 1987, © Vincent KNAPP, Peterzel GmbH – L’atelier de Pierre Alechinsky, artiste peintre (1927 – ), 1987, © Vincent KNAPP, Peterzel Gmbh.