Si l'art roman marquait le passage de l'Eglise des moines à celle des pèlerins, l'art gothique est celui de l'Eglise de la cité, de la cathédrale, commandée par un évêque dans une ville riche. Dans cette société, où se développent toujours davantage les villes et le commerce lointain, l'on ne cherche plus le salut par le refus monastique du monde, mais par l'incarnation dans la vie du peuple. A l'inverse du monastère, où le cloître est le centre d'un univers clos, la cathédrale gothique s'ouvre à tous, comme elle s'ouvre à la lumière.
La cathédrale est un microcosme. Son porche doit évoquer l'entrée du Paradis, où l'on est accueilli par le Christ, la Vierge et les saints. Et l'intérieur préfigure la Jérusalem céleste. Sans doute l'architecture gothique est une réponse aux problèmes posés au bâtisseur roman : accueillir des foules de plus en plus nombreuses. Mais la solution exige un changement radical d'échelle : pour créer d'immenses nefs, il ne suffit plus seulement de briser le berceau par des voûtes d'arêtes avec leurs arcs brisés répartissant la poussée entre les quatre angles de la travée. La croisée d'ogives, arc diagonal bandé pour renforcer la voûte suggérée par les nervures des coupoles de l'art musulman, est une solution radicalement nouvelle des problèmes anciens. A la voûte compacte se substitue la voûte articulée, qui permettra de lancer dans le ciel les flèches les plus audacieuses, d'ouvrir les murs à la lumière de Dieu, de créer la fine dentelle des arcs-boutants à l'extérieur de l'Eglise. La recherche de la lumière, par des constructions de plus en plus légères, est le moteur du développement de l'art gothique, et de cette recherche naîtra l'art nouveau et merveilleux du vitrail , mosaïque et alchimie de la lumière transmutée en langage divin.
Ces cathédrales gothiques, de plus en plus hautes, de plus en plus légères et lumineuses, cette architecture qui se libère des servitudes de la pesanteur, n'exigent plus de la sculpture qu'elle participe aux fonctions de l'édifice. La sculpture est ainsi libérée et peut répondre aux besoins nouveaux: le besoin d'un Christ humanisé, proche de l'homme par ses souffrances comme par son amour et sa difficile victoire. La bourgeoisie des villes, et non plus les seigneurs féodaux ni les abbés des monastères, attend un Christ à son image et partageant sa vie quotidienne. Le Christ et les saints prennent de plus en plus le visage réaliste de l'homme de tous les jours. Le portrait individualisé se développe en sculpture et en peinture.
Dans la cathédrale gothique entre désormais toute la vie d'un peuple avec ce qu'il éprouve et ce qu'il redoute, ce qu'il désire et ce qu'il rêve.
Roger Garaudy Commentl'homme devint humain pages 232-234
La Pietà de Villeneuye-lès-Avignon.