Ses principes. La science musulmane est intimement
liée à une vision du monde, de
l'homme et de
Dieu : celle de l'islam.
Elle reçut l'héritage des grandes
civilisations des
pays que les Arabes occupèrent.
Héritage grec, à travers l'Empire byzantin, et souvent à
Alexandrie, où s'était opérée
la synthèse des cultures
égyptiennes et grecques après la
décadence de ces deux
civilisations, et où avaient pénétré les
doctrines
orientales. Héritage de l'Iran, qui ne transmettait
pas
seulement sa propre culture, celle de la Chaldée et de la
Babylonie, mais aussi celle de l'Inde. Les premiers
califes invitèrent à
Bagdad des savants indiens et firent
traduire leurs
traités de mathématiques et de
médecine. Enfin les
Arabes apprirent des Chinois l'usage
de la boussole,
l'alchimie et la fabrication du
papier : c'est en effet
après la bataille du Talas en 751, en
Sogdiane, sur la
route de la soie (entre les troupes
chinoises des
empereurs T'ang et les Arabes), que
des prisonniers
chinois apprirent aux Arabes la
méthode de la
fabrication du papier avec du lin et
du chanvre ; la
première fabrique fut fondée à Bagdad
en 800. C'est par
l'Espagne musulmane que le papier
gagna l'Europe
qui n'en fabriqua, en Italie et en
Allemagne, qu'au
XIVesiècle. L'importance du papier pour la diffusion
de la culture est incalculable.
Mais tout cela fut repensé,
transformé et fécondé
par la vision spécifiquement
islamique du monde :
toutes les formes de l'univers ne
sont que reflet ou
symbole de Dieu. L'Un s'y révèle à
travers le multiple.
Ce principe d'unité implique une conception
vivante,
unique (et non pas analytique et mécaniste
de la
science). Tout ce qui a été amené à
l'être par l'acte
créateur de Dieu est en interaction,
et les diverses
sciences elles-mêmes sont
interdépendantes : il y a
unité des diverses formes de savoir.
De cette conception
découle un certain rapport de l'homme
avec la nature et
avec les sciences. La loi qui
gouverne la vie, et que les
sciences, comme toutes les forces du
savoir, aident à
connaître, doit aider l'homme à
vivre d'une vie plus
haute, en harmonie avec la nature, en
communion avec
les hommes et avec Dieu, contemplé au
miroir de son
oeuvre. Enfin, l'importance accordée
à la perception
sensible des êtres, qui sont symboles
visibles du Dieu
invisible, permet de mettre l'accent
sur la méthode
expérimentale, à l'inverse des seules spéculations
déductives des Grecs classiques —
dont nous avons vu
qu'aucun, à Athènes, ne s'intéressait
aux sciences de la
nature, pratiquées en Asie Mineure
par les présocratiques,
et à Alexandrie en Egypte (d'Euclide
à Ptolémée).
Il est remarquable que le précurseur
des méthodes
d'observation et d'expérimentation en
Occident, Roger
Bacon (1214-1294), qui avait étudié
l'arabe, a écrit que
la connaissance de la langue et de la
science arabes était,
pour ses contemporains, la seule
possibilité d'accès à la
connaissance véritable. La Vepartie de son Opus
majus, consacré à la perspective, est une
traduction de
L’Optique d'Ibn Haitham (965-1032), que
l'Occident
appelait Alhazen. La science
islamique et les techniques
qui en découlent sont la source
principale de la
science de la Renaissance
occidentale.
Ses réalisations. Cette science
islamique, à la
différence de la science occidentale
moderne, positiviste,
ne sépare pas les sciences
particulières de la
sagesse. Le positivisme, en laissant
à une métaphysique,
coupée de la connaissance
quotidienne, le
problème des fins et de l'ouverture à
l'infini, a réduit les
sciences à n'être que techniques de
manipulation de la
nature et de l'homme, et à laisser se
développer une
véritable religion des moyens,
n'offrant, pour satisfaire
la vraie soif de l'homme, que le faux
infini des désirs et
de leur démesure.
Cette rupture était-elle nécessaire
au développement
des sciences ?
Les résultats obtenus par la science
islamique
prouvent le contraire.
En mathématiques, les musulmans, tout
en
intégrant la géométrie des Grecs, ont
mis l'accent sur
l'algèbre, et sur l'infini plus que
sur le fini. Le poète
Omar Khayyam (v. 1050-1123) résout
les équations du
troisième degré cinq siècles avant
Descartes.
En astronomie, Farghani écrit en 860
un traité qui
fait autorité en Europe jusqu'au X V
I e siècle. L'observatoire
fondé à Maragha (Iran) par Houlagou,
puis
celui de Samarcande, construit par
OulougBeg, seront
les modèles de ceux de Tycho Brahé et
de Kepler.
Birouni (973-1048) calcule le
diamètre de la terre.
En médecine, l'Iranien Razi (v.
860-v. 923), auteur
d'une monumentale encyclopédie
médicale qui,
traduite en latin, fait autorité dans
tout l'Occident
médiéval, est un véritable précurseur
de la « clinique ».
Les médecins musulmans pratiquaient
l'opération de
la cataracte par succion, au moyen
d'une aiguille
creuse, dès le VIIIe siècle, savaient cautériser et suturer
les plaies, connaissaient la
chirurgie dentaire.
En chimie, outre la découverte de
produits tels que
l'ammoniaque et l'acide nitrique, les
méthodes de
distillation, de sublimation, de
cristallisation sont
couramment pratiquées par les Arabes.
En sociologie, Ibn Khaldoun
(1332-1406), trois
siècles avant Montesquieu, à une
époque où l'Europe
ne connaissait que des « chroniqueurs
», recherche les
lois du développement historique, et,
au-delà du
« hasard », les causes cachées.
Il-énonce le principe de
base du matérialisme historique :«
Les différences que
l'on remarque dans les usages et les
institutions des
divers peuples, écrit-il dans ses Prolégomènes,
dépendent
de la manière dont chacun d'eux
pourvoit à sa
subsistance. » Alors que les
économistes européens ne
s'affranchiront du « mercantilisme »
qu'au XVIIIe
siècle, il note que ce ne sont pas
les métaux précieux
qui constituent la richesse d'une nation, mais le travail.
Roger
Garaudy
Comment l’homme devint humain
pages
207 à 212
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