Froideur et cœur dur : deux caractéristiques
fondamentales que le père de Myriam attribue à celle-ci, et dont elle a hérité
en droite ligne de sa mère qui a, sans hésitation, abandonné la famille. Mari
et enfants – Myriam a un frère aîné, Nathan, qui baise (pour être dans le ton
quand on parle d’un de ses livres, il faut utiliser les mots du romancier) la
femme du voisin. Conséquence : un drame, un cadavre, une maison à vendre.
Ce qui peut arranger les affaires du père. Son boulot consiste précisément à
vendre des maisons, il est de tous les enterrements, carte de visite à la main.
Dans un roman de Philippe Djian, les événements se succèdent comme tombe une
falaise. Inéluctablement : un caillou lâche, une poignée d’autres, puis la
falaise elle-même. La loi de la pesanteur est à l’œuvre, elle entraîne les
personnages dans un éboulement intérieur qui semble les vider de leur
substance, les transformer en zombies condamnés à vivre encore, malgré
l’incohérence de ce qui les entoure.
Myriam sait-elle pourquoi elle a épousé Yann, le fils des
voisins, vingt-cinq ans de plus qu’elle, comme dans un retournement de
situation destiné à ramener un équilibre incertain dans le chaos ? Puisque
Nathan baisait la mère de Yann, Yann baise Myriam qui ne voit, dans le
déroulement des faits, qu’une succession d’événements contre lesquels elle est
incapable de peser. Le mariage qui suit pourrait être anecdotique, en raison de
ce qui s’installe dans le couple et sa périphérie. La sœur de Yann, Maria, est
devenue une amie envahissante, du genre à guider sa belle-sœur dans toutes ses
décisions. Complice trop proche pour être honnête.
Le romancier n’explique rien. Tout est là, pareil aux
organes dispersés d’un cadavre après l’autopsie. Mais ces organes sont destinés
à être remis dans leur enveloppe de peau : Dispersez-vous, ralliez-vous ! Chez Rimbaud, le poème parlait
des corbeaux qui volent, funèbres, par-dessus les morts d’avant-hier, ceux d’un
champ de bataille. Chez Djian, le champ de bataille est limité à l’espace
familial, mais la guerre n’est jamais loin, qui oppose dans la violence avant
la conclusion de l’armistice.
Ne comptez pas sur Philippe Djian pour vous prendre par la main. On
entre dans une énigme, certes, mais il n’y aura d’autre enquête que celle menée
par Myriam face à sa propre existence. Et encore, mollement, sans chercher à
tout comprendre. L’essentiel étant mis à plat devant nos yeux, il suffit de se
laisser aller à la manière des personnages les plus dociles pour comprendre
leur fonctionnement.