Mystique et poésie iraniennes. Le cheminement de l'âme vers le Dieu caché, le poète persan Attar (v. 1150- v. 1220) l'exprime dans le symbole de son Colloque des oiseaux : trente oiseaux partent à la recherche de leur roi, le légendaire Symorgh, et, après une course épuisante à travers déserts et vallées, brûlés de corps et d'âme, ayant tout donné, tout leur est rendu ; ils parviennent à un lac et, y découvrant leur propre visage, découvrent en même temps que leur roi c'est eux-mêmes, ayant renoncé à leur « moi » pour devenir un « nous ». « Le soleil de ma majesté est un miroir, leur dit le Symorgh , celui qui vient s'y voit tout entier, son âme et son corps . . . Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin redoutable, lorsque vous avez souffert et combattu pour vous dépouiller de vous - mêmes et atteindre la plénitude, vous n'avez agi que par mon action. . . Anéantissez-vous donc en moi afin que vous vous retrouviez vous-mêmes en moi.» Pour Ruzbehan de Chiraz (fin du XIIe siècle), dans son Jasmin des fidèles d'amour , qui inspirera Dante, « c'est dans le livre de l'amour humain qu'il faut déchiffrer la règle de l'amour divin ». « L'amour de l'amant et de l'aimée est habité par la même force qui attire l'homme vers la réalité divine et qui est le réel par excellence. . . Aimer la beauté, c'est voir l'existence éternelle avec l'oeil même de Dieu.» Pour Roumi (XIIIe siècle),l'un des plus grands mystiques et des plus grands poètes de tous les temps, i l n'est pire douleur que d'être arraché au tout, et le mystique vit de cette nostalgie. « Ecoutez le roseau qui conte son histoire. Il gémit d'être seul, coupé de sa racine. Depuis qu'on m'arracha, les amants déchirés ont emprunté mes cris pour épancher leurs plaintes. Car j'ai besoin d'un coeur déchiré par l'absence, pour dire la douleur de cette nostalgie.» C'est le thème repris par Hafiz au XIVesiècle et que Goethe lui emprunta. Hafiz chante : « Comme le cierge brûle l'âme, lumineuse dans la flamme d'amour, d'un coeur pur j'ai sacrifié mon corps. Tant que tu ne seras pas comme les papillons, consumé par la nostalgie du Tout, tu ne pourras jamais t'affranchir de la souffrance d'amour.» Et Goethe, qui écrivait : « Hafiz, se comparer à toi, quelle folie ! », reprendra : « Toi, l'amant de la lumière, tu t'y brûles comme un papillon . Tu n'es qu'une ombre dans la nuit de la terre, aussi longtemps que tu n'as pas compris cette loi : meurs et deviens.» Saadi, au XIII1 siècle, l'exprime dans son Jardin des roses : « C'est l'implacable loi d'amour, ô mon enfant! En voilà le secret si tu veux le connaître : de sa flamme nul n'est sauvé que par la mort.» Résumant toute la vision islamique du flux de Dieu vers l'homme et du reflux vers Dieu dans la sainteté, Saadi écrit encore : « Tout souffle qu'on aspire prolonge la vie, et tout souffle qu'on expire la fait rayonner. Chaque souffle est un double bienfait de Dieu et nous devons pour chacun l'en remercier.»
Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
Pages 190 à 195