A partir d'un fait divers (le meurtre d'un père), elle interroge la famille comme une entité étrange, névrotique, explorant ses dysfonctionnements. La structure linéaire du roman policier traditionnel explose, se disperse, comme explose l’illusion affective et sécurisante de la famille nucléaire (père névrosé, mère désinvolte, enfant souffrant).
Ressassante, obsédante, la phrase de Bessette dit sans la décrire l’existence d’un enfant soumis à infantilisation des adultes (mère volage, père violent).
Ce livre est une lente descente vers la névrose de l’enfer familial.
A l’heure où la presse ressort les méandres de l’affaire Grégory, est-il besoin de comprendre que la littérature est le moyen le plus puissant de révéler ce qui ne va pas dans ce microcosme ?
Enfermée dans ses codes et ses convenances, ses non dits, la famille est le siège d’une tragédie permanente qui ne peut que conduire à la catastrophe.
Bessette établit une généalogie des états traumatisants de l'enfance :
L’enfant sans bonheur
L’enfant sans espace
L’enfant sans avenir
L’enfant sans âge
L’enfant sans mère
Et naturellement,
L’enfant sans père
Puisqu’il l’a tué.
Le petit héros meurtrier renvoie à l’acte fondateur originel (Eschyle, Shakespeare), et loin de rabaisser la tragédie au niveau de l’anecdote, le fait divers donne à chacun un rôle, une malédiction éternellement rejouée. La mère apparaît à l’ombre d’Antigone, de Médée, ombre menaçante :
Madame sort en chemise de nuit, la chemise de nuit des soirs tragiques
en haut du grand escalier à la lueur sinistre des torches ancestrales
Topos typiquement tragique, le meurtre fondateur est une catharsis, un désir de justice d’abord reporté, qui finira par se résorber dans la fatalité de l’acte accompli.
Beaucoup de parents giflent leurs enfants et leurs enfants ne les tuent pas.
Les gifles de mon père signifiaient mon appartenance complète, ma dépendance inéluctable.
Que nous dit Bessette, au-delà de la chronique judiciaire ? Porte-voix des petites gens (enfants, domestiques), de ceux qu’habituellement on n’entend pas, elle exhibe l’aliénation fondamentale, première strate de toutes les aliénations (sociales, économiques, politiques). L’enfant du meurtre de Vingt minutes de silence répond à la bonne d’un autre livre (Ida ou le délire), celle qui n’a pas pu mener sa révolte, encombrée par ses trop grands pieds qui ont provoqué l’accident fatal.
Le poète aveugle, sourd et muet ne peut crier que dans un langage en dehors des lois ….
Il n'est pas le premier enfant criminel
Ils sont tous pareils ces enfants. leur souffrance éclate : Ils tuent.
Je pense aux Bonnes de Jean Genet, au dernier Thomas Bernhard qui, dans Extinction, désamorçait dans une prose étourdissante l’univers oppressant de son enfance (les parents y étaient décrits comme des personnages vils, sinistres, ridicules).
Ce roman inédit d’Hélène Bessette la rattache aux grands romans modernes de la colère (je pense aussi au Mars, de Fritz Zorn).
Nous ne pouvons que remercier le remarquable travail d’un éditeur, après l’excellente initiative de Laure Limongi aux éditions Léo Scheer, de publier désormais l’œuvre intégrale de cette écrivain fondamentale (Le nouvel Attila, label Othello).
Véronique Pittolo
Hélène Bessette, Vingt minutes de silence, éd Le nouvel Attila, 2017, 176 p., 17€.