Longtemps, elle a écrit pour survivre. Pour nettoyer un passé marqué par la violence psychique. En 2013, au terme d'une longue errance spirituelle, elle connaît une véritable renaissance en retrouvant son prénom de baptême.
Mon choix de changer de prénom à l'adolescence n'est pas anodin. « Laurence » était peu à peu devenue « Laurette », surnom familial qui m'avait été donné et que j'ai décidé d'adopter par fascination pour les « lorettes », ces femmes dites de mauvaise vie, admirables pour mon jeune esprit rebelle. Choix qui fut sans doute aussi une manière de rendre hommage à Ève, une prostituée qui vivait en bas de chez mes parents, à Paris. Je descendais souvent voir cette femme au grand coeur. Ève me considérait comme j'étais. M'aimait vraiment. Ce chaos identitaire m'a entraînée dans une longue nuit qui a duré presque 30 ans, où je me suis brûlé les ailes. Consumée. Pendant toutes ces années,j'allais très mal tout en l'ignorant. Je ne trouvais guère de sens à la vie, mais quelque chose me tenait de manière irrépressible : dans mes plongées obscures, je devinais qu'à la noirceur endurée correspondait un équivalent de lumière. Qu'elle brillait quelque part. Ce « relève-toi » battant au plus profond de moi a pris différents visages. La maternité en a fait partie. Quand l'idée du suicide assiégeait mon esprit, ma fille me ramenait à la vie : « Tu ne peux pas ne pas être là pour son biberon demain matin. » La littérature aussi a été salvatrice : il fallait que je vive pour continuer à écrire, pour aller au plus profond de mon expérience humaine en essayant de répondre à la question : qu'est-ce qu'un homme vivant ? Mon eczéma est apparu lorsque j'ai été nommée « Laurette ». Il a duré plus de 40 ans ; s'est arrêté lorsque je suis retournée vers Laurence. Cette affection de la peau, criant ce qui était tu, a été un maître, puisqu'elle m'a incitée à chercher des réponses dans diverses traditions spirituelles. Je me suis tournée vers le soufisme, l'ésotérisme, le bouddhisme, la kabbale... J'en retiens aujourd'hui qu'elles nous mènent toutes à un même essentiel : l'Amour est essence et l'expérience majeure de l'existence. Aujourd'hui, mon rapport au monde n'est pas religieux. Il est spirituel. Le divin relève pour moi de l'évidence. Ce n'est pas que je crois, j'éprouve que Cela est. Le jour où, en 2013, j'ai appris que Laurence, signifiait « l'or en soi » dans la langue des oiseaux, j'ai été bouleversée. Cette découverte a lavé « l'eau rance », stagnante, où m'avait enfermée mon passé. Dès lors, je me suis à nouveau présentée sous mon véritable prénom, avec cette sensation que des racines me poussaient des pieds. L'étymologie d'exister est ex-sistere : « se placer hors de », c'est-à-dire naître, mais aussi « se montrer, se manifester ». J'étais enfin à ma place. Depuis, je n'écris plus pour survivre mais pour transmettre. J'ai observé avec quelle puissance l'écriture sauve et guérit. Désormais, je la transmets aux autres à travers mes livres et les ateliers que j'ai créés.
Seul celui qui a été nommé peut commencer à aimer. Après plusieurs échecs amoureux, j'ai décidé de vivre seule. C'est une fois que j'ai été apaisée et que j'ai commencé à me fréquenter avec joie, que j'ai rencontré J., mon bien-aimé, à peu près au moment où je me suis réapproprié mon prénom. Pour la première fois, j'ai reconnu un masculin susceptible de « fixer » mon féminin. En me regardant comme sujet à part entière, cet homme m'a aussi aidée à me séparer de ma famille. Il m'a offert de découvrir l'amour authentique, qui est harmonie et vérité. Récupérer mon prénoma provoqué une seconde naissance. Ma part intacte, inaltérable, sacrée, celle qui habite tout être vivant a retrouvé une place. La parole. Mon âme n'a jamais souffert d'eczéma ni de mélancolie. Je vais avoir 48 ans, j'ai beaucoup écrit pour nettoyer mon passé, et je peux enfin commencer à faire ce pour quoi je suis venue : me laisser entièrement habiter par le Verbe. Je ne vois pas de distinction entre le verbe écriture et le Verbe qui s'est fait chair. Tout mon cheminement spirituel s'est accompli par ce verbe qui engendre la séparation. Plus le moi disparaît, plus je suis qui je suis, plus il y a de la place pour le divin. J'aspire à arriver jusqu'à cet endroit de la langue où le silence peut enfin se dire. Car dans le silence, Dieu se tient.
Les étapes de sa vie
1968 Naissance à Paris.1994 La Démangeaison (Grasset) et naissance de sa fille Suzanne.
2002 Séjour à la Villa Médicis.
2004 Naissance de son fils Otto.
2007 Installation dans la Drôme.
2009 L'Usure des jours (Grasset).
2011 Grâce leur soit rendue (Grasset).
2012 Création des ateliers d'écriture « En vivant, en écrivant »
2013 La Clôture des merveilles. Une vie d'Hildergarde de Bingen, (Grasset).
2016 Lorette (Grasset), qu'elle signe pour la première fois de son vrai prénom.
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