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Par Julien Leray @Hallu_Cine

Les paradoxes temporels, marottes du film de genre consacrées avec La Jetée, obsessions de la science-fiction, font également souvent office d’astuce toute trouvée pour maximiser l’efficacité d’un long-métrage aux moyens somme toute limités.

La preuve en est que l’on retrouve régulièrement cette thématique au cœur de premiers essais. Donnie Darko de Richard Kelly, Timecrimes de Nacho Vigalondo, Primer de Shane Carruth, même Terminator de James Cameron (son premier vrai film, disons-le franchement) : tous trois répondent de cette même logique, faite de rationalisation des coûts, et de mise en avant d’un concept fort à même de combler à lui-seul, du point de vue du scénario, d’éventuels manquements.

Probablement plus que tout autre, de par sa nature à mi-chemin entre pure fiction et familiarités du quotidien, le paradoxe temporel nécessite un soin tout particulier en terme d’écriture pour rester crédible et cohérent, tout en évitant de se montrer redondant, et donc de lasser.

Un paradoxe à tous points de vue donc, dans la mesure où s’il s’agit d’une magnifique porte d’entrée pour un premier film, les écueils à éviter sont si nombreux qu’ils requièrent dans le même temps une grande maitrise et une certaine maturité pour être adéquatement gérés.

On n’a d’ailleurs guère souvenir, sur une thématique similaire, d’exemples probants très récents. Même Looper de Rian Johnson et Edge of Tomorrow de Doug Liman ne se sont pas montrés réellement satisfaisants.

Aussi, naïveté ou vœu pieux, on fondait beaucoup d’espoirs sur Haru (A Day en anglais) de Cho Sun-ho, scénariste de son état, dont il s’agit, vous l’aurez compris, du premier passage derrière la caméra.

La dernière fois que l’on a pu voir un scénariste sud-coréen s’atteler à la réalisation, on avait alors eu droit à Sea Fog : Les Clandestins, l’œuvre de Shim Sung-bo, l’homme derrière la plume du sublime Memories of Murder de Bong Joon-Ho, et qui fut, en sus d’une belle surprise, un excellent film de genre à la charge politique féroce.

Pareille performance pouvait-elle se reproduire ? Après tout, tant qu’on gagne, on joue. Reste que comme le dit le proverbe, la foudre frappe rarement une seconde fois au même endroit.

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Question d’impressionner, Cho Sun-ho met la pression d’emblée. Un accident de la circulation causant le décès de la fille d’un célèbre chirurgien, lequel assiste alors impuissant aux événements. Montage brutal, transition brusque, réveil en sursaut de Kim Joon-Young dans l’avion du tout début du film, puis mêmes causes et mêmes effets : le voilà condamné à revivre la scène à l’identique, encore et encore, et ce, quoi qu’il entreprenne pour changer le cours des événements. La jeune Eun-jung, quoi qu’il fasse, meurt inévitablement.

L’originalité et l’ambition d’Haru, c’est de ne pas s’être contenté d’un seul personnage prisonnier de cet espace-temps : histoire d’insuffler une bonne dose de complexité, Cho Sun-ho n’a pas ajouté un, mais bien deux autres protagonistes centraux à son intrigue. Rien de foncièrement fou, mais cela a tout de même le bon goût d’essayer de renouveler la recette qui, il faut le dire, commençait à sentir sérieusement le réchauffé.

Les destins croisés de ces derniers, la manière avec ils sont amenés à s’enchaîner, tout en conservant une narration limpide et bien rythmée montrent que Cho Sun-ho, son hémisphère droit et sa plume de scénariste ont bien travaillé leur sujet.

Nous sommes au terme des trente premières minutes, il reste une heure à combler : Cho Sun-ho commence à se retrouver à cours d’idées.

C’est un signe qui trompe rarement, et voir un réalisateur lâcher progressivement son concept initial pour se raccrocher à des sentiers plus communs et rassurants, a tendance à laisser un certain goût d’inachevé.

Une fois le principe compris, les enjeux exposés, la conclusion anticipée dans sa globalité aussi tôt dans le récit, il reste peu à défendre. Comment, dès lors, rester captivé ?

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Cho Sun-ho toujours alors du doigt, et nous avec, ses limites du moment, en tombant dans des facilités communes aux metteurs en scène peu sûrs de leur fait.

Là où les prémices d’Haru se font fort d’entretenir le mystère et de semer les germes d’un récit à tiroirs que l’on trépigne d’ouvrir, Cho Sun-ho retire à ce moment-là sa confiance au spectateur en noyant son récit de dialogues surexplicatifs, le prenant alors par la main quand ce dernier espère au contraire pouvoir interpréter et réunir lui-même les indices, pour jouer au plus malin.

Une dimension ludique intrinsèque aux paradoxes temporels dont A Day se retrouve privé, annihilant de facto son principal intérêt.

C’est en soi le risque des films à concepts : si ces derniers n’ont pas leur pareil pour attirer le chaland, ils s’exposent dans le même temps à un retour de bâton aussi plus important.

À sa décharge, Cho Sun-ho n’a pas eu le luxe de Shim Sung-bo de pouvoir jouir des précieux conseils d’un producteur nommé Bong Joon-ho (accessoirement l’un des plus grands cinéastes vivants).

Une excuse qui en vaut une autre, mais qui ne saurait pour autant masquer les lacunes formelles dont il fait preuve dès lors que l’histoire ne suffit plus à elle-seule à entretenir la flamme. La photographie anonyme et la réalisation, sans réelle folie ni valeur ajoutée, viennent elles-aussi rappeler que Cho Sun-ho, malgré les moyens confortables dont il a pu disposer, n’en est qu’à son premier essai.

Trip de scénariste, champ d’expérimentations hasardeux pouvant produire, lorsque réussi, des résultats prodigieux, le film de paradoxe temporel est un exercice délicat pour qui veut s’y frotter. Consacrant les grands lorsque les risques sont payants (Tom Tykwer et Run Lola Run notamment). Sanctionnant instantanément ceux qui sont tout juste satisfaisants : Cho Sun-ho, avec Haru, l’apprend à ses dépens.

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Film vu dans le cadre du Festival Fantasia 2017.


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