Aujourd’hui il s’agit d’un livre de plus de deux cents pages paru aux Editions Lanskine : Au cœur du cœur de l’Ecrin.
Nous ouvrons une couverture à l’éclat doré enchâssant tous les poèmes trouvés « au cœur du cœur de l’écrin ». L’abordant dans les premiers textes avec ses souvenirs scolaires de leçons d’histoire, Anne Kawala pose dès la première page la question qui sera le fil conducteur de l’ensemble des textes : « quelle est donc la place de la femme dans cette société ? » - page 7
Mais l’écrin du cœur contient bien d’autres questions. En suivant ces recherches, nous sommes entrainés dans une profusion de pistes, d’hypothèses, de récits d’histoires, petites et grandes, de contes et de détours. Et d’un objet faisant le tour, faisant lien avec notre actualité, rapportera aux fées, et des fées au fatum, les faits, la fatalité des images que le pouvoir manipule.
Dans son précédent livre, Le déficit indispensable (screwball) – Al Dante – 2016 - nous suivions une chasseuse-cueilleuse. Ici sur les traces d’Anne de Bretagne, nous suivons une duchesse deux fois reine.
L’Ecrin du cœur, objet hautement symbolique – tel que dans une situation identique Olivier Domerg en avait écrit, avec humour et sens critique – devient le centre d’une recherche autour des femmes. Nous suivons celles qui ont fait l’Histoire de France, d’alliances en traités, de mariages en maternités, et de morts en morts.
Sous le regard d’une femme, une autre histoire se dessine. Cousant celle qu’ont faite les hommes aux motifs tels que les femmes les font : petites histoires des femmes dans le silence que les hommes leur font. Anne Kawala cherche où et quand les femmes ont été effacées. Quelles lois leur ont coupé la parole et la route, les écartant du pouvoir, des activités économiques, scientifiques, sociales.
Anne Kawala, en Reine Mathilde, brode à la page sa tapisserie et réécrit l’histoire au nom d’Anne de Bretagne à laquelle elle s’identifie par son prénom, puis au nom de toutes les femmes, aux noms de « celles et ceux qui se taisent » - page 71. Non sans se méfier d’elle-même car « pour qu’une impartialité naisse / il faut dire cette partialité … pour pouvoir en égalité penser » - page 26.
Dans une écriture tressée de bras de femmes en ventres de femmes, tressée de descendances et d’ascendances, de lignées de pouvoirs, des travées liant les siècles et les continents, elle utilise toute la palette de sa langue, alternant poèmes historiques en prose et poèmes en vers. On peut aussi y lire la mémoire d’une forme ancienne qui viendrait par porosité influencer une écriture contemporaine. Une écriture qui n’aurait pas de bornes, qui réinventerait le lyrisme, comme en peinture la Nouvelle Figuration réintroduit le dessin et la narration dans le tableau :
« au cœur du cœur de l’écrin se trouve un compartiment secret plein
de sable, de sel et de marais, rempli secret d’herbes folles, de prairies
sauvages, de forêts ancestrales, plein de vent cet immense compartiment,
ce compartiment secret se découvrant au cœur de l’écrin grand comme
l’océan y murmurant » page 81
Une écriture qui s’enroule sur elle-même, inverse la langue, la retourne. Renversement du pouvoir de la langue, son assouplissement. Une écriture sincère, car Anne Kawala sait aussi, en poète, mêler son histoire, un « je », à ses travaux :
« contre le pouvoir mon cœur bat
pour l’amour mon cœur bat » - page 80
« la ville où qui j’aime m’a emmenée » - page 177
Cœur radiant nommant poèmes chacune de ses pages.
Cœur d’amour, du fin-amour médiéval à la plus triviale partie de cul,
Cœur de légendes, arthuriennes de préférence, puisque géographiquement bretonnes,
Cœur littéraire croisant Rabelais et Voltaire autant que Virginia Wolf,
Cœur géographique, de Nantes, de la France alors en devenir, de l’Europe avec ses rivalités et ses guerres, du monde arabe et entourant la terre, d’Orlando aux Etats-Unis jusqu’au Japon.
Puis nous refermerons le livre et nous tiendrons dans les mains cet écrin faisant la somme de tout ce qui converge vers, tout ce qui chemine avec, venant de, venant d’où, tout ce qu’il porte en lui et tout ce qu’il irradie.
Roland Cornthwaite
Anne Kawala, Au cœur du cœur de l'écrin, éditions Lanskine, 2017, 240 pages, 14€