On s’intéresse ici à des cas où le miroir est remplacé par autre chose… ou par rien.
Les Dolly Sisters
Les Kessler Sisters
Comment de vraies jumelles inventent de faux miroirs.
Autoportrait au tournesol
Van Dyck, 1632, Collection particulière
De la main gauche, Van Dyck nous montre la chaîne d’or que lui a récemment donnée en récompense son patron, le roi Charles I d’Angleterre ; de la main droite, il montre un tournesol. La position de la grande fleur, aux pétales agitées par le vent, un bouton tendu vers la gauche comme une main, fait écho à celle du peintre, avec ses cheveux ébouriffés. Derrière, le ciel nuageux rappelle que la tête du tournesol suit, dit-on, la marche du soleil.
Nous comprenons alors la métaphore de l’artiste courtisan : comme la fleur, lui aussi ne quitte pas des yeux son souverain, et c’est bien Charles I qui est censé être l’unique spectateur de ce tête-à-fleur chargé de sens.
Le miroir
Dorothea Tanning, 1950, Collection Schefler, Aspen
Le tournesol, emblème-fétiche de Tanning, figure dans plusieurs toiles de cette époque, avec des significations variées [1]. Ici, on ne peut s’empêcher de penser à une transposition de la composition de Van Dyck. On y retrouve la double métaphore du tournesol comme visage et comme miroir du soleil. Mais ici, elle est poussée à son comble : le visage est devenu un tournesol, et le tournesol est véritablement un miroir, qui ne montre rien que le soleil.
Le tout englobé dans un autre miroir-tournesol, en signe d’autoréférence.
Les réflexions d’Andrew Valko
Grand spécialiste des chambres de motel glauques, Andrew Valko explore depuis de nombreuses années divers dispositifs réflexifs qui s’ajoutent au miroir pour tenter, sans y parvenir, d’échapper au huis-clos du célibataire ou du couple.
Nous allons retrouver deux effets que le miroir permet habituellement d’obtenir.
L’effet ping pong
Room by the sea, 1992
Entre la clim et l’alarme incendie, la femme se remaquille en nous cachant son visage tandis que le miroir nous montre celui de son partenaire. Au fond, dans le poster, un autre couple a trouvé la liberté sous les cocotiers.
Steady shot 1998
Lampe rouge allumée, c’est ici le caméscope qui nous montre le partenaire. Le motif de fausse jungle du canapé évoque une évasion illusoire.
Knock knock, 1998
C’est maintenant la télévision, sur laquelle le caméscope est branché en tant qu’adjuvant érotique, qui nous révèle l’homme assis sur le lit, encore en slip. La femme s’est levée pour regarder par le judas , autre dispositif optique d’espionnage : moins fâchée de l’interruption du tournage que curieuse de l’irruption d’autre chose dans leur intimité technicienne.
La déconnexion
Dans laquelle il s’agit de découper et de mettre à distance un morceau de réel.
Import image, 2008
Facebook, 2007
La webcam modifie le cadrage et l’angle de vue avec bien plus de liberté qu’un miroir : pourtant nous ne doutons pas un instant que le visage à l’écran est bien celui de la jeune fille.
Dans la première composition, la webcam fonctionne comme un dispositif de prise de vue (« Import image« ), dans lequel la jeune femme sert de modèle. Dans la seconde, elle est utilisée comme un dispositif réflexif, dans lequel la jeune femme est à la fois le sujet et l’objet (d’où le titre Facebook).
Mais grosse différence avec un miroir : elle n’inverse en aucun cas la gauche et la droite.
I Shot Myself, 2011
L’appareil photo lui aussi respecte la gauche et la droite ; il produit une image miniature qui semble amorcer une régression à l’infini aussitôt interrompue, à la verticale de la cuvette close.
Messenger, 2015 Alone together, 2017
Progrès technique oblige, l’objectif est maintenant celui du téléphone portable.
A gauche, il ajoute à l’effet de découpe celui d’une translation à la fois spatiale et temporelle, soit justement ce qui caractérise un « messager ». Il crée aussi le paradoxe d’un visage exact et complet, mais indécidable : car qui nous dit que les lèvres sous la photo ont gardé la même expression ? Qui nous dit que ce messager n’est pas en train de nous tromper tout en gardant les lèvres closes ?
A droite, l’ancienne et le nouvelle technologie rivalisent : le miroir circulaire effectue un zoom sur l’oeil gauche de la jeune fille, qui de la main droite prend un selfie dans le grand miroir. La question est : le selfie qu’elle prend coïncide-t-il avec le tableau que nous voyons ?
La réponse est non : le faux reflet du robinet (qui est en fait celui d’un flacon) nous fait croire que le point de fuite coïncide avec l’objectif du portable (ligne rouge). Mais les reflets du miroir circulaire et de son support indiquent un point de fuite bien différent (lignes jaunes). On en déduit par ailleurs que le robinet n’est pas perpendiculaire au mur, mais incliné.
Le fait que le tableau ne coïncide pas avec le selfie, ce qui bien sûr en complexifie la réalisation, sonne comme une revendication d’autonomie de la peinture par rapport à la reproduction mécanique.
For your eyes only, 2010 Marriott reflections, 2011
A gauche, la modèle se fait les cils, grâce à un miroir portable grossissant. A droite, elle se met du rouge à lèvres. Si la salle de bain est différente, la modèle, le miroir portable et la trousse de toilette en plastique bleu transparent sont les mêmes.
Identique également la hauteur du point de fuite, à peu près au niveau du soutien gorge, soit la hauteur d’un homme assis.
Du coup, pour que le miroir circulaire fixe puisse nous montrer le visage du peintre, il faut qu’il soit lui-aussi grossissant, et incliné légèrement vers la droite et vers le bas.
Shutterbug (Passionné de photo), 2014
Dans ce bouquet final symphonique, les deux procédés se juxtaposent : l’effet ping-pong et la déconnexion.
Le miroir mobile, par sa double face, concentre ingénieusement dans un espace restreint, le grand oeil du modèle qui ne fait que se regarder lui-même, l’oeil clos du peintre, et le seul oculus qui regarde réellement : l’objectif de l’appareil photo.
Comme si le regard humain se trouvait ici définitivement supplanté par le regard mécanique. Et comme si la caméra avait pris possession de la chambre.
» le symbole de toutes les choses avec lesquelles les jeunes doivent s’affronter et traiter « , ou bien » la bataille sans fin que nous menons contre des forces inconnues, ces forces qui existaient avant notre civilisation « .
http://www.tate.org.uk/art/artworks/tanning-eine-kleine-nachtmusik-t07346