Satoshi Miyagi, qui avait triomphé il y a deux ans avec un superbe Mahabharata donné à la carrière de Boulbon, lui, en homme avisé et maître de son sujet, répond avec grâce et exactitude à la commande, au « concept » qu’impose le lieu pour le grand événement. La vision scénographique qu’il nous offre, placée sous la responsabilité de Junpei Kiz, est de toute beauté : toute l’étendue du plateau est recouverte d’une eau peu profonde dans ou sur laquelle évoluent avec une lenteur qui efface le temps les vingt-neuf (pas moins) protagonistes de la tragédie, ombres blanches, âmes errantes glissant au son de la musique, entre percussions et sons électroniques (la musique est signée Hiroko Tanakawa, alors que le son a été conçu par Hisanao Kato et Koji Makishima), omniprésente; vaste étendue d’eau – l’Achéron, bien sûr – sur laquelle viendra glisser à deux reprises le passeur, alors que les silhouettes démesurément agrandies des participants du rituel viennent flotter, projetées de manière presque menaçante, sur le mur de la cour d’Honneur… La cérémonie funéraire est en place, il n’y manque pas le moindre petit amas de rochers, le principal destiné à Antigone au centre du plateau…
En n’hésitant pas à utiliser des techniques théâtrales (on songe au nô, bien évidemment) de son archipel, avec notamment la volonté de dissocier ce qui est de l’ordre de la corporalité de ce qui est de l’ordre de la parole – chaque personnage de la tragédie est ainsi représenté par deux acteurs, l’un qui parle, l’autre qui agit, éliminant ainsi tout risque d’une inutile psychologisation –, Satoshi Miyagi opère un étonnant renversement qui ne fonctionne pas toujours, la tendance du spectateur occidental étant de choisir l’une des deux options proposées au lieu de les saisir ensemble. Autre renversement, fondamental, celui de la proposition initiale du texte de Sophocle où l’élément premier sur lequel repose la tragédie est celui de la terre – celle à laquelle a droit Étéocle, celle qui est refusée à son frère Polynice – remplacée ici par… l’eau.
Le plus surprenant cependant est le sort que Sotishi Miyagi fait au texte de la pièce, une pièce qu’il a pourtant déjà travaillée et mise en scène il y a plusieurs années de cela, en 2014, et qu’il a, dans la traduction en japonais, légèrement coupé ici et là (notamment à la fin), un texte qui aurait plutôt tendance à disparaître de la circulation. Car, c’est bien là le défaut majeur de cette représentation : la mise à l’écart du texte et de ses vrais enjeux au détriment des images… Du coup, le moment le plus réussi du spectacle est celui du prologue inventé avec malice par latoshi Miyagi où, sur les bords du bassin, les comédiens viennent raconter à leur manière, très bande dessinée – latoshi Miyagi connaît bien les mangas –, les péripéties de la pièce…
Jean-Pierre Han
Antigone, de Sophocle. Mise en scène de Satoshi Miyagi. Cour d'honneur du palais des Papes Spectacle d'ouverture du 71e Festival d'Avignon.
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