"Le beau Dieu" de la Cathédrale d'Amiens
A l'intérieur de [l’] Empire romain, mais indépendamment de lui et malgré lui, au temps des premiers empereurs est né, au Proche-Orient, le christianisme. Ce fut un événement spirituel de dimension universelle, comme les Upanishads et la Bhagavad Gita, comme le Zend-Avesta ou le taoïsme, comme le message des grands prophètes d'Israël et de Bouddha, comme, plus tard, celui des soufis de l'islam. A u centre de l'enseignement de Jésus était l'annonce du Royaume, non pas au sens historique du messianisme juif, mais, comme dans toutes les grandes visions de l'Orient, le monde d'un éveil de l'homme qui, se dépouillant des limites de son moi individuel, est transformé à l'intérieur et à l'extérieur. L'essentiel de cet enseignement, c'est qu'il donnait un visage à l'espérance des hommes : celui de Jésus-Christ, témoignant par sa vie, sa mort, et sa résurrection, qu'il était fils de Dieu. Il révélait ce qu'était pour l'homme «être avec Dieu», par la rencontre du Dieu qui vient et de l'homme qui va vers lui par la foi. Il apportait une nouvelle manière de vivre la liberté : non plus connaissance de la nécessité, comme chez les philosophes grecs, mais participation à l'acte continué de la création. Il apportait une nouvelle manière de vivre l'amour : non plus l’ eros platonicien qui est amour de l'amour, mais l'amour absolu de l'autre.Il annonçait une radicale inversion de toutes les valeurs gréco-romaines en identifiant Dieu non pas avec la toute puissance de l'empereur romain, mais avec le Crucifié.
Cette foi nouvelle se répandit d'abord à Antioche et à Alexandrie, c'est-à-dire en Asie et en Afrique. Déjà récupérée par u n messianisme juif partiellement modifié, lorsqu'elle atteignit la Grèce et Rome, c'est-à-dire l'Europe, elle fut annexée d'abord par la philosophie grecque, de Clément d'Alexandrie à saint Augustin.
Puis, quand elle gagna, tel un incendie, les peuples courbés sous le joug romain, quand les faibles devinrent ainsi une force, Constantin, l'empereur de Rome, se servant de cette force, se proclama converti au christianisme, tout en demeurant, jusqu'à sa mort, adorateur du soleil et Pontifex maximus du paganisme. Il transforma la foi en un Christ qui se révélait dans la misère de la Croix en l'Eglise d ' un Dieu tout puissant, garant des hiérarchies humaines. Le temps n'est pas loin où le Christ apparaîtra, dans une mosaïque, sous l'uniforme d'un général byzantin. Les persécutions contre le christianisme n'avaient pas réussi à le détruire. Sa transformation en religion d'Etat y parvint, en le pervertissant par le rationalisme grec et l'organisation romaine. C'est la grande défaite historique de l'espérance chrétienne, intégrée pour des siècles au projet prométhéen de l'Occident et de ses maîtres.
Roger Garaudy
Comment l’homme devint humain
Pages 120 à125