Dans un précédent billet, j'avais évoqué les dangers liés à l'énorme excédent extérieur de la zone euro. Il faisait suite à plusieurs autres billets : le danger de la hausse des taux d'intérêt, l'absence de circulation des capitaux entre pays de la zone euro, les scandales en cascade à la Commission, la crise bancaire en Italie, la réalité du travail détaché au sein de l'UE, les conséquences du passage à une économie de service, une sortie de l'euro est-elle possible ?, la crise grecque, etc.
Aujourd'hui, nous allons nous intéresser aux problèmes de compétitivité-coût des pays membres de la zone euro et voir que ceux-ci ne peuvent être corrigés que très partiellement, et encore au prix d'une casse sociale massive...
La compétitivité-coût des pays
Bien entendu, la compétitivité d'un pays (notion au demeurant délicate à définir) ne dépend pas que des coûts, mais ces derniers en constituent tout de même une part importante dans une économie de marché. C'est pourquoi, l'indicateur le plus souvent retenu est le coût salarial unitaire (coût salarial par unité produite) :
[ Source : Natixis ]
Le problème est évidemment grave lorsque des pays ont des niveaux de gamme de production proches mais des coûts de production divergents. C'est hélas ce qui se passe pour la France, l'Italie et l'Espagne...
Comment corriger les différentiels de compétitivité-coût au sein de la zone euro ?
Avant la mise en place de la monnaie unique, les problèmes de compétitivité-coût pouvaient se régler par un mécanisme de marché simple : le taux de change. Mais depuis, puisque par définition toute dévaluation monétaire est impossible, les gouvernements utilisent d'autres moyens :
* la dévaluation interne : également appelée ajustement nominal, elle consiste en une baisse de coûts salariaux et des prix dans le but d'améliorer la compétitivité d'un pays. Selon la théorie, comme les prix et les salaires baissent parallèlement, les salaires réels ne varient pas et la compétitivité s'améliore à l'export. Mais, ce remède de cheval, contrairement aux attentes, conduit le plus souvent à l'effondrement de la demande des ménages en raison de la baisse des salaires réels. Cela débouche alors sur une compression de l'activité à court terme et donc sur une hausse du chômage.
* la dévaluation fiscale : il s'agit d'une substitution d'impôt censée produire les mêmes effets qu'une dévaluation monétaire. On pense notamment à la TVA sociale (qui n'a de social que le nom), qui consiste à basculer sur la TVA une partie des cotisations sociales patronales, de sorte que la TVA augmenterait et le coût du travail baisserait. Ainsi, les prix de la production hors taxes et les prix des exportations baisseraient, tandis que les prix des importations augmenteraient en raison de la hausse de TVA qui pèseraient sur les produits importés. En théorie, cela serait donc équivalent à une dévaluation monétaire : hausse du prix des importations et baisse du prix des exportations. Enfin sur le papier, parce qu'en pratique le pouvoir d'achat souffre lorsque la TVA augmente, car les vases communicants ne fonctionnent jamais aussi parfaitement...
Et lorsqu'il ne reste plus aucune solution et que le pays s'enfonce dans la crise économique et sociale, la sortie de l'euro reste l'ultime viatique, malgré ses conséquences potentiellement graves. En effet, le poids de la dette extérieure brute en euros deviendrait colossal et parallèlement il y aurait des pertes massives en capital pour les prêteurs des autres pays. Pour sûr, la zone euro serait alors soumise à une incertitude gigantesque et livrée à la spéculation des marchés financiers, ce qui pourrait être autoréalisateur en ce sens que si les opérateurs de marché anticipaient une sortie d'un autre État de la zone euro, alors les taux d’intérêt souverains augmenteraient et rendraient l'équilibre budgétaire très compliqué jusqu'au point où le gouvernement n'aurait d'autre choix que de quitter lui aussi la zone euro. Mais face à la crise, la fonction première d'un gouvernant c'est aussi de se rendre compte des impasses et d'en tirer les conclusions qui s'imposent...
Bien entendu, l'idéal, comme je le proposais déjà dans ce billet par exemple, serait une sortie ordonnée de l'euro avant qu'elle n'arrive par la force des choses, comme l'explique avec brio Jacques Sapir ou plus récemment Joseph Stiglitz. Personne ne nie qu'une telle solution aurait des conséquences négatives notamment en matière d'inflation et de taux d'intérêt, mais elle constitue en l'état des lieux la seule solution crédible à mes yeux pour reprendre notre destin européen en main. Le chemin sera difficile, mais l'enjeu est de redonner du souffle aux économies meurtries par le carcan monétaire en imaginant peut-être une monnaie commune en substitution à la monnaie unique.
Hélas, nous vivons dans un monde où l'immobilisme le dispute au conformisme, tout en donnant l'illusion du changement. Dès lors, lorsque vous ne proposez pas de solution, on vous taxe de Cassandre, et lorsque vous en faites, on vous déclare fou à lier ! On s'achemine par conséquent vers le pire alors que le meilleur est encore à (re)construire...