Véritablement oublié dans les réserves du Département d'anthropologie du Smithsonian, cet objet a mené depuis 1996 une "vie" plutôt palpitante !… mais pour être certainement oublié de nouveau maintenant. Drôle de destin !
Cette année là, The National Museum of the American Indian Act a demandé à la Smithsonian Institution de bien vouloir inventorier tout ce qui pouvait constituer des restes humains et des objets funéraires relatifs aux peuples autochtones à des fins de restitution.
Or la patu faisait partie des objets du peuple Umatilla considérés comme funéraires.
C'est presque par hasard qu'Adrienne Kaeppler, conservatrice du département Océanie à la Smithsonian Institution, cherchant à situer cette massue dans les réserves, apprit qu'elle faisait partie des objets concernés par la demande de restitution. Qu’elle ne fut pas sa surprise et son émotion, car, à ses yeux, cet objet était plus anglais et maori qu’américain et constituait un artefact important pour les cultures du Pacifique !
Mais ses arguments ne furent pas entendus car primait la déclaration de Kane Kunzie : les objets de sa vente et a fortiori la patu, provenaient d'une tombe sur l'un rive de la Columbia en Oregon, en territoire Umatilla.
Adrienne Kaeppler émettait bien des doutes quant à cette affirmation mais, à son encontre, un article d'un certain James Wickersham daté de 1895 affirmait que la patu provenait d'une tombe ancienne.
Antique ou ancienne ? En effet, la massue n'avait pu être donnée qu'en 1778 et on a les témoignages de Colnette et Meares qui avaient affirmé en avoir vu circuler en 1787 et 1788 sur la Côte Nord-Ouest. Cela a dû prendre du temps pour que la massue parvienne jusqu’aux terres Umatilla, puis dans la collection Kunzie en 1895. Elle ne pouvait donc être en Amérique du Nord que depuis cent dix-sept ans et ne pouvait avoir été enterrée dans une tombe ancienne au sens "pré-contact". En fait c’est bien là le point d’achoppement… que signifie "ancienne" ?
Adrienne Kaeppler pensait que la collection de Kane Kunzie comportait des objets « anciens » mal identifiés, et qu'afin d’avoir des arguments de vente pour la Smithsonian Institution, la propriétaire aurait tenu d'une part à spécifier que ses objets n'étaient pas ou peu représentés dans les collections de l'Institution.
De plus elle avait eu connaissance de l'article de James Wickersham (écrit dans The American Antiquarian de mars 1895) affirmant que « sa » patu provenait d'une tombe ancienne.... ainsi et toujours dans le but de convaincre la Smithsonian de l'intérêt de sa collection, elle « aurait » d'autre part dressé une liste d'objets qui seraient issus de la sépulture ; et cela prouverait leur ancienneté.
La patu en faisait partie.
On peut alors se demander sur quoi repose l’affirmation de Wickersham ?
En effet, il s’agit là d’une curieuse recherche et d’une curieuse coïncidence...
Ce James Wickersham avait à coeur de prouver que les bronzes du Mexique avaient pu atteindre les rives de la Columbia… et, s’il se trouvait qu'un objet mexicain macana (une arme des guerriers jaguars aztèques) ait eu la même forme qu'un certain objet de la Columbia River (la patu)… quoi de mieux pour abonder dans le sens de son hypothèse ! De plus, cela accréditerait une autre de ses hypothèses : l’existence d’une circulation entre la Côte Nord-Ouest des Etats-Unis et la Polynésie. Si maintenant une certaine forme de massue en Oregon se retrouvait dans celle d’un type de massue de Nouvelle-Zélande (en l’occurence la patu), cela constituerait aussi un argument de poids en faveur de sa thèse !
Probablement aveuglé par son enthousiasme, il ne remit pas en cause l’ancienneté de la collection Kunzie ainsi que celle de la massue qui s’y trouvait ! Mais avec le recul, l'ignorance des deux hommes des voyages de Cook et des quarante patu de Joseph Banks semble incroyable !
De nos jours, on sait bien qu’elle n’est pas antique cette patu, mais a-t-elle pu faire partie du mobilier funéraire d’une tombe d’un chef de la nation Umatilla du XIXème siècle ? Voilà qui n’est pas prouvé, ni son contraire. Mais il a fallu considérer comme prioritaire le témoignage de son dernier propriétaire, Kane Kunzie… et par conséquent la patu fut restituée en 2005 :
« The patu, a brass copy of a New Zealand stone club, is one of the most significant objects in the museum's collection and was made for Captain James Cook's second voyage to the South Pacific. The patu was traded during Cook's third voyage in 1778, when he visited the northwestern coast of North America. Based on the preponderance of available evidence, the patu has been found to be an unassociated funerary object and has been found to be culturally affiliated with the Confederated Tribes of the Umatilla Indian Reservation. The finding is based on information contained in museum records and on the traditional territory of the Umatilla during the nineteenth century (Stern 1998).
It was recommended that the patu be offered for return to the Confederated Tribes of the Umatilla Indian Reservation ».
http://anthropology.si.edu/repatriation/reports/regional/plateau/patu.htm
Ironie cruelle de l’histoire, si la nation Umatilla n’est peut-être pas légitime à détenir cette patu car il s’agit d’un objet important pour les cultures du Pacifique, elle partage néanmoins avec les Maori l’un de ses symboles, à savoir la date d’un terrible changement pour les peuples autochtones du monde entier.
Mais revenons à Joseph Banks. Pourquoi a-t-il fait réaliser ces répliques de patu ? Pas pour faire du troc c’est certain… mais bien plutôt afin d’initier des échanges cérémoniels, ce qui ferait naître des relations (bien sûr initiant elles-mêmes des pratiques de commerce).
Tant bien même Banks n'a pas participé aux deux autres voyages de Cook ; avec "ses" patu de laiton laissées comme on laisse des cartes de visite, son nom est passé à la postérité.
Dommage peut-être de n’avoir pu repartir… tel n’était pas son destin… mais pourquoi ce jeune aristocrate, botaniste amateur de 28 ans, a-t-il pris la mer aux côtés de James Cook en ce 27 août 1768 ?...
Sources :
Coote J., 2008, « Joseph Bank’s Forty Brass Patus » in Journal of Museum Ethnography 20.
Kaeppler A. l., 2005, « Two polynesian repatriation enigmas at the Smithsonian Institution » in Journal of Museum Ethnography 17
Photo 1 : Vietnam veteran Sid Mills, a Yakima man, stands guard.Photo © Owen Luck.
Photo 2 : Réplique de la patu alors conservé à la Smithsonian Institution, A174002 (© A. Kaeppler)
Photo 3 : Vue de la collection Kunzie vers 1890 © http://www.underwaterheritage.co.nz/
Photo 4 : A portrait of Wiremu Kingi, from Turanganui on the New Zealand East Coast, by Gottfried Lindauer.
Photo 5 : Détail des nouvelles vitrines comportant les objets des voyages de Cook au Pitt Rivers Museum. Photo de l'auteure - oct. 2016.