Jonathan Franzen fournit aux personnages de Purity une large
panoplie d’émotions fortes et de sentiments mélangés. En refermant le livre, le
lecteur les connaîtra plus intimement que certains de ses proches. Peut-être se
dira-t-il qu’ils manquent quand même d’humour, les tourments leur étant plus
familiers que les rires. L’écrivain, en revanche, prouve de temps à autre sa
capacité à se moquer de lui-même.
Franzen écrit des livres épais, et c’est aussi l’ambition de
Charles, dont l’une des qualités est d’être drôle, mais il n’est qu’une figure
secondaire dans le récit. Conscient cependant de ce qu’il doit réussir pour
trouver sa place dans la littérature américaine : « Jadis, il avait suffi d’écrire Le Bruit et la Fureur ou Le soleil se lève aussi. Mais à présent la taille était
essentielle. L’épaisseur, la longueur. » Un peu plus loin, le même
Charles fera cette réflexion : « Tous
ces Jonathan ! La littérature
est envahie de Jonathan. Si on ne
lisait que le cahier Livres du New York Times, on croirait que c’est le prénom masculin le plus répandu aux
Etats-Unis. Synonyme de talent, de grandeur. D’ambition, de vitalité. »
Et d’auto-ironie, ajouterons-nous donc.
Charles, qui se rêve grand écrivain, est le mari, handicapé
après un accident, de Leila. Celle-ci, journaliste de haut vol, se partage
entre les soins à un homme qu’elle apprécie encore et la vie avec Tom, son
patron, créateur et animateur de Denver Independent, une agence de presse d’investigation
soutenue par une fondation. Avec Tom et Leila, on est plus près du cœur du
roman. Quand Purity, qui déteste son prénom et préfère être appelée Pip, leur a
proposé un joli scoop, ils l’ont prise sous leur protection sans rien savoir de
ce qui se jouait à ce moment dans leur vie. Pip n’a pas tout dit. Elle ne sait
pas tout non plus, d’ailleurs. Elle est manipulée par Andreas, que Tom a
rencontré autrefois à Berlin et qui se veut un autre Julian Assange, la pureté
en plus – et un nombre considérable de compromissions et de déviances, sans
rien dire de l’acte le plus grave qu’il a commis dans son existence.
La plupart des protagonistes ont eu ou ont encore une vie
familiale complexe, souvent à l’origine de leurs problèmes personnels. Le thème
est creusé en profondeur, il dessine un réseau serré de désirs et de
déceptions, sur fond de secrets plus ou moins bien gardés dans l’histoire des
uns et des autres, en Allemagne ou aux Etats-Unis. Car l’ancrage européen du
roman joue un rôle important dans ses articulations politiques, puisque la
carrière publique d’Andreas commence dans une famille privilégiée en Allemagne
de l’Est, avant la chute du Mur de Berlin, et se poursuit après la
réunification, sur une planète mondialisée où la circulation de l’information
s’est modifiée grâce ou à cause d’Internet.
L’information est un autre axe du livre, envisagé du point
de vue du pouvoir dont elle est un des éléments. Pip, dans une quasi
conclusion, évalue les sources de l’horreur du monde : « Les secrets étaient un pouvoir. L’argent
était un pouvoir. Le besoin que les autres avaient de soi était un pouvoir. Le
pouvoir, le pouvoir, le pouvoir : comment le monde pouvait-il être
organisé autour de la lutte pour une chose qui isolait et oppressait tant son
possesseur ? »
Purity est un livre long. Mais à la juste mesure de la matière dense qu’il
brasse sans générer le moindre moment d’ennui.