Le partage
Le partage du royaume de Clovis entre ses 4 fils
A sa mort en 511, le Roi mérovingien Clovis Ier, considéré comme le premier souverain chrétien des Francs, laisse un territoire immense.
Il ne s’était pas contenté longtemps du petit royaume des Francs saliens dont il avait hérité à la mort de son père Childéric Ier. Utilisant de moyens radicaux (la guerre et le meurtre…) pour unifier une grande partie des tribus franques sous son égide, Clovis employa sa vie à bâtir un véritable royaume. Ce dernier doit à présent être partagé entre ses fils, ainsi que le stipule la loi salique.
Son fils aîné Thierry, issu de sa première union avec une princesse païenne, hérite de la plus grande partie du royaume : les territoires du Nord-Est, incluant la Rhénanie dont était originaire sa mère. Il décide d’installer sa capitale à Reims.
Reste encore trois fils, très jeunes, issus de la seconde union de Clovis avec la Reine Clotilde. Il leur échoit le reste du territoire divisé en trois parts égales, certes moins grandes, mais aussi moins exposées aux attaques ennemies.
Le plus jeune, Clotaire, reçoit les provinces du Nord, premiers domaines des Francs saliens, et installe sa capitale à Soissons. Clodomir prend possession de la région de la Loire, avec pour capitale Orléans. Reste Childebert, qui hérite d’une partie de l’Aquitaine, autour de Bordeaux, et une partie de la future Normandie et du Maine. Sa capitale sera Paris.
Convoitises
Ces quatre mâles assoiffés de pouvoir ont pour mission d’entretenir l’unité, sinon territoriale, du moins politique du royaume des Francs.
S’ils savent s’allier avec intelligence, lorsque la situation le commande, pour faire face à leurs ennemis, les fils de Clovis cherchent rapidement à s’approprier le royaume de l’un ou de l’autre et renouent avec « la bonne vieille coutume du fratricide ».
Thierry ouvre les hostilités en tentant vainement d’assassiner ses demi-frères. Il commence avec Clotaire. Les sbires à sa solde, peu futés, laissent dépasser leurs pieds du rideau derrière lequel ils sont cachés dans la chambre de Clotaire. Ainsi alerté de leur présence, le prince s’échappe aussitôt ! Thierry s’efforce alors de tuer Childebert, sans plus de succès.
En 524, Clodomir périt la tête tranchée lors d’une bataille menée contre les Burgondes. Ses frères convoitent aussitôt le trône du défunt et décident de se le partager, au mépris de la loi salique : Clodomir a trois fils pour lui succéder !
En plus de récupérer une partie du royaume du défunt, Clotaire décide d’épouser sa veuve, acte qui légitime son forfait et prive les trois orphelins de mère.
Le Roi Clotaire par Jean-Louis Bézard
C’est Clotilde, leur grand-mère, qui recueille les garçons : Théobald, 10 ans, Gonthier, 7 ans, et Clodoald, 2 ans à peine. Elle supervise avec joie leur éducation et souhaite les voir grandir auprès d’elle. Mais au fond, elle sent bien ce que la situation présente de dangereux. Ces trois enfants sont une menace pour ses fils, car ils pourraient fort bien un jour réclamer l’héritage de leur père… Aussi les garde-t-elle bien près d’elle, en sécurité, se berçant d’illusions.
Le piège
Un jour, la Reine Clotilde, rendant visite à son fils Childebert, s’installe avec les 3 enfants dans l’enclos de la basilique des Saints Apôtres de Paris. Le Roi fait aussitôt dire à son frère Clotaire par l’entremise d’un messager :
Hâte-toi de venir à Paris. Nous déciderons du sort des enfants.
Dans le même temps, le retors Childebert fait répandre dans le peuple la nouvelle que la rencontre entre lui et son frère a été décidée afin de discuter des moyens à prendre pour rétablir leurs neveux sur le trône de Clodomir.
La nouvelle vient aux oreilles de Clotilde, qui ne se méfie pas et applaudit. Elle est fière de ses enfants : ils font preuve d’une réelle grandeur d’âme !
Elle ne se méfie pas plus lorsqu’elle reçoit une lettre de ses fils l’invitant à leur remettre les garçons pour qu’ils soient intronisés.
Clotilde fait préparer les enfants, les revêt de leurs plus beaux ornements, et leur constitue une garde composée de leurs précepteurs de leurs compagnons de jeux. Elle les fait conduire à ses fils, les quittant avec ses mots :
Allez, je ne croirai plus avoir perdu mon fils Clodomir, si je vous vois rétablis dans son héritage.
Aussitôt arrivés dans le palais où Clotaire a rejoint Childebert, les garçons sont séparés de leur suite et enfermés dans un appartement. Les deux compères envoient alors à leur mère un messager. Ils lui laissent le choix de décider du sort des enfants.
La démarche des deux fils envers leur mère peut étonner mais ils se conforment ici à la coutume germanique du mutterrecht, le droit de la mère, qui suppose que l’ancêtre femme dispose d’un droit de conseil et d’arbitrage en cas de litige dans la famille.
Le stratagème mis en place par Clotaire et Childebert pour extorquer le consentement maternel est malin. Clotilde a le choix entre voir ses neveux tonsurés ou mis à mort. La tonsure est un affront grave pour les Rois mérovingiens. Leur longue crinière, reconnaissable sur un champ de bataille, représente le symbole même de leur royauté et de leur virilité. Un prince tonsuré ne peut plus prétendre au trône.
Qu’importe le trône, s’ils gardent la vie ? Mais la haine s’installerait alors dans le cœur de ces enfants qui, des années plus tard, ayant retrouvés leur flamboyante chevelure, ne chercheraient qu’à se venger de leurs oncles et entraineraient le royaume dans une guerre civile ! Clotilde ne le sait que trop bien. En décidant la tonsure, elle condamne ses fils et le royaume. Le choix que lui laissent Clotaire et Childebert n’en est pas un. Folle de rage de s’être laissée abuser par ses fils, qui savaient très bien que par amour pour eux, elle sera prête à tous les sacrifices, elle déclare au messager : « J’aime mieux les voir morts que tondus ! »
Le crime
Lithographie représentant l’assassinat des fils de Clodomir (1890, série sur les Rois de France)
A peine le messager a-t-il tourné les talons que Clotilde s’effondre en larmes dans les bras de ses suivantes, hurlant le nom des trois enfants. Il est trop tard : soulagés de cette « bénédiction maternelle extorquée », Clotaire et Childebert peuvent perpétrer leur crime.
Clotaire se charge de l’aînée, Théodebald, qu’il égorge sans état d’âme. Gonthier se met alors à crier et se prosterne aux pieds de Childebert, implorant sa clémence. Childebert se laisser fléchir et supplie son frère de lui accorder la vie sauve. Clotaire arrache l’enfant à son frère en le traitant de lâche, puis plonge son épée dans le flanc du garçon, qui décède sur le coup. Tant qu’à faire, Clotaire décide de la mise à mort de toute l’escorte qui accompagnait les princes.
Le troisième, Clodoald, sauvé par quelques fidèles, est soustrait au massacre et caché dans un monastère non loin de Paris. Les fils de Clovis sont des assassins, mais ils ne sont pas encore prêts à violer l’enceinte sacrée d’un lieu de culte ! C’est ainsi que Clodoald vit, narguant ses oncles, comme une épée de Damoclès suspendue au-dessus de leur tête.
Quelques années plus tard, Clodoald se coupe lui même les cheveux, renonce à l’héritage paternel, choisissant la religion à la gloire. Il devient moine dans un village qui porte aujourd’hui son nom : Saint-Cloud (Cloud étant la version francisée de Clodoald).
Quant à Clotilde, elle ne se remettra jamais de la mort de ses petits-enfants, qu’elle a la consolation de pouvoir enterrer. En effet, Childebert, peu fier de ce meurtre, fait rapatrier les corps des enfants chez sa mère. Elle les fait conduire à la basilique des Saints Apôtres, et ensevelir auprès de leur grand-père Clovis et de leur père Clodomir.
Cet assassinat qu’on l’a forcée à cautionner brise l’âme de la Reine sainte, qui perd avec eux tout ce qui la rattache encore au monde. Elle trouvera encore la force de se battre pour tenter de soustraire sa fille, qui porte le même prénom, aux mauvais traitements de son mari le Roi des Wisigoths, auquel on l’avait mariée de force. Mais la pauvre femme succombe à ses blessures avant d’avoir revue sa mère.
Clotilde ne vit plus que pour voir prospérer la religion chrétienne dans le royaume des Francs, avant de s’éteindre vers 545, à Tours.
Sources
♦ Clotilde, épouse de Clovis, de Anne Bernet
♦ Sainte Clotilde, Reine de France : Sa Vie, Son Oeuvre, Son Siècle
♦ Nos ancêtres les Francs, de Marie Pinsard